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Je me souviens
En
hommage à Georges Perec (Je me souviens, Hachette, 1978) et Joe
Brainard (I remember, Actes Sud, 1997)
Je
me souviens du regard de cette chauve-souris qui nidifiait calmement
alors qu'au loin sonnaient les troupes de chasseurs hagards et
bedonnants.
Je me souviens de mon père, jovial, fidèle et
accroché à sa famille, sur une petite mobylette bleue avec
une sacoche à l'arrière.
Je me souviens de la joie de cet homme, du regard attendrissant qu'il
portait sur la vie, sur le crépuscule de son existence, sur la
détresse de sa famille et sur l'oraison funèbre et le
deuil
Je me souviens de son éclat d'obus, de ses colères et de
son visage tranquille pour son dernier envol
Je me souviens de ma mère, de sa fidélité, de son
abnégation, de sa dévotion pour ses enfants
Je me souviens des nuits longues, insensées et oblongues
où nous parlions de mots riches et prolixes, où nous
chantions en partageant une bouteille, allongés sur des tapis
Je me souviens des histoires magiques, de la brûlure de
l'enfance, du coma, de l'infirmière religieuse et du jus des
piqûres
Je me souviens de ce cercle des amis disparus
Je me souviens des années d'insouciance, d'apprentissage, de
rires et de plaisirs, d'espaces gazonnés,
d'amphithéâtres pleins, de sonorisation, de
polycopiés, d'attente aux repas, de la Simca 1000, des lunettes
rondes de Michèle, de " Si vous voulez bien... "
Je me souviens d'un piano désaccordé, de Chopin, de
poèmes insoupçonnés et de débats
d'dées
Je me souviens d'un fils d'archéologue, d'un adjudant alsacien
rougeaud et buveur, d'un capitaine mélomane, d'un gars barbu et
œnologue, de bâtiments longs et inhumains, de cirage, de draps
pliés, d'un temps presque arrêté, de
déjeuners très tôts, de sorties en campagnes et de
routes la nuit
Je me souviens de la maison de la chanteuse, d'un puits sans eau, d'un
tunnel mystérieux, d'un pont impérial, de vaches, de port
et d'un bateau glorieux
Je me souviens du nom de quelques étoiles apprises à la
lumière diaphane, de Bételgeuse, de Rigel ou
d'Aldébaran.
Je me souviens de la petite femme têtue, dont le prénom
n'était qu'une illusion et qui brandissait le poing avec respect
et fraternité
Je me souviens d'un cœur qui bat fort le soir, de fourmillements dans
les mains, des pincements, de la grande fatigue
Je me souviens des roses rouges, des baguettes de pain, du muguet et de
la fumée de gitanes sans filtre
Je me souviens de la Cour de l'Horloge, des arbres alignés, des
couloirs d'athlétisme, des longs couloirs qui résonnaient
aux pas, des préaux et des chambres à guitare espagnole
Je me souviens du grand arbre, des vélos sans frein, de la
petite chienne folle, de ma cousine, de mon oncle et de ma tante
Je me souviens du premier cri de mes nouveau-nés, de la
fragilité et de la fierté d'être
Je me souviens de cet instant où tu es entrée dans la
salle de répétition
Je me souviens de la fête au village, des chants incolores, des
coups de feu, de l'agneau grillé, de la cascade près du
cimetière et de l'amitié
Je me souviens de cette musique jouée des milliers de fois entre
mes doigts, triste, brésilienne et vivante
Je me souviens d'un jour précis où j'ai appris le partage
Je me souviens de la crème chantilly lapée par la
pâtissière
Je me souviens de ce besoin de protéger le monde entier
Je me souviens de la caresse d'un regard posé et de la chance de
t'avoir rencontrée
Je me souviens de la surprise de comprendre que la vie ne tient plus
qu'à un fil
Je me souviens du vol des étourneaux, du feu des broussailles,
des salades et des fruits sauvages
Je me souviens de Luis Mariano, d'Yvette Horner, de Claude
François, des Valses de Vienne, de Julien Clerc, de " Biche
ô ma Biche", de " C'est une poupée qui fait non", du "
Pénitencier", de Villa-Lobos et des cheveux longs
Je me souviens de longs manteaux, de pantalons à pattes
d'éléphant, de chaussures de daim, de sahariennes et de
chemises à fleurs
Je me souviens de la Normandie, d'Etretat, du Pont de Tancarville, du
Havre, du " France", des falaises et des galets tout ronds
Je me souviens de Toulouse, de Blagnac, d'Andorre, de Figueras et de la
halle aux poissons
Je me souviens du désespoir de ne plus être et de la
solitude qu'il engendre
Je me souviens des châteaux cathares, de Carcassonne, de rues
empierrées, de portes ouvragées
Je me souviens de la Maison de Dali, du Musée à Florence,
de la Tour de Pise, des gondoles, du Rialto et des pizzas plus grandes
que les assiettes
Je me souviens d'un oncle parlant espagnol, de grands parents mourants
et d'une sœur au destin tragique
Je me souviens de numéros de plaques d'immatriculation savamment
retenus, de tennis contre un mur, de complicité, de courses dans
le froid et de chemin commun
Je me souviens des petits baisers de mes enfants
Je me souviens de ma première guitare, du papier musique, de la
Méthode de Vincent d'Indy, de professeur de violoncelle, de
guitare, de physique
Je me souviens de Ristolas, du ski, de l'indigestion et des routes
enneigées
Je me souviens de repas fabuleux et délicats, de vins de grand
prestige, de conversations agitées, de gâteaux aux
framboises et d'offrandes
Je me souviens de ma sœur, si prompte à faire plaisir, et si
courageuse
Je me souviens aussi du pot à lait, des rails, du sifflet du
train, de l'odeur âcre du charbon, des chardons bleus que l'on
arrache d'un coup sec, du pourpier et des asperges sauvages
Je me souviens des tiges pleines d'escargots, des olives que l'on
casse, du fenouil odorant, des scorpions, des mille-pattes et des
chauves-souris à Anduze
Je me souviens de la maison de bois en Auvergne, de la terrasse et de
la piscine froide
Je me souviens de tous ces Tours de France, des maillots jaunes, de la
caravane publicitaire
Je me souviens du Théâtre de L'Olivier, de la pièce
jouée durant la Guerre du Golfe, de Marcel Maréchal et du
bis à Céline
Je me souviens d'un accident sur l'autoroute, d'une rambarde
défoncée et d'une fille désolée
Je me souviens de l'Opéra de ma ville, du Requiem de Verdi et
des chants de Wagner, de l'estrade, des voix fortes et des percussions
Je me souviens du rêve des Seychelles où je n'irai jamais
Je me souviens de cette musicienne passionnée dont les
partitions sont parties au panier
Je me souviens de la neige dans les arbres, des oiseaux
photographiés, du sanglier et des ponts de bois en rondins
Je me souviens des livres de René Barjavel, de Michael Crichton,
de Dean Koontz
Je me souviens de StarWars, de StarTrek, de Harry Potter, de " Vous
n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine" et de Blade Runner
Je me souviens de la joie d'entendre un solo de violon et de la fureur
de voir humiliées des orchestrations d'artisan
Je me souviens de la mer, des vagues qui ricochent, des oiseaux
à bec jaune, du vent furieux qui claque dans les voiles, du
regard qui se perd sur l'horizon
Je me souviens des chemins de traverses, des descentes
d'éboulis, des corniches périlleuses et des pas des
géants
Je me souviens des symphonies de Mahler, de Kindertotenlieder, du
Requiem de Mozart et de Carmina Burana
Je me souviens des boules mauves, du repos maîtrisé et du
calme intérieur
Je me souviens d'un lac bleuté et d'une chanson de Mike Oldfield
Je me souviens des chansons grecques, d'Alexiou, de Dalaras, de
Mitropanos, de Sfakianakis, de Kotsiras et de Ioannidis
Je me souviens du soleil à Sounion, de l'Aurige à
Delphes, de lieu où Paul a prêché, du Delta de
l'Evros, de Soufli, du phare, du marchand de pastèques, du repas
au clair de lune, des parties de ping-pong, du panneau de basket et du
tambour dans l'eau de mer à Alexandroupoli
Je me souviens de mon premier ordinateur, de mon fils apprenant
à lire sur un manuel de programmation, des sites web de ma fille,
du passage à MacOS X, des piles Hypercard, des bases 4D et
d'Internet
Je me souviens de Raymond Devos, de Coluche et des Frères
Ennemis
Je me souviens de poèsies nocturnes, de recueils de musique
illustrés, du " Retour de l'Empereur", du " Concerto
brésilien", du " Mouvement Symphonique", d'enregistrements sur un
magnétophone à bandes et des " Paysages Intérieurs"
Je me souviens de la Contributhèque, du site du Collège
et de l'affiche de " Babil"
Je me souviens des premiers pas de l'Homme sur la Lune, du saut de Bob
Beamon à Mexico, de la chute du Mur de Berlin, de l'Attentat du
11 Septembre 2001, de la première image en couleur à la
télévision, des radios libres, de l'abolition de la peine
de mort, de la camarde pour Brassens ou pour Brel
Je me souviens des cheveux blonds de mon fils, de ses jeux et de son
regard bleu
Je me souviens de tant de choses...
Auguste