Histoires de Chastenberg


XXXVII


P'tits trucs



    Il y a des p'tits trucs qui fragilisent Chastenberg.
                                
                                

    1er cas - Le gars qui raconte une blague

    Mise en situation : un gars (un ami, un parent, un collègue, un voisin) arrive, un sourire radieux collé sur le visage, l'air extrêmement détendu, une complicité à fleurs de peau, une humanité contagieuse, le devoir de décontracter et de passer un bon petit moment. Une certaine idée du partage.

    - Tu l'as connais celle de la vache qui boit du gin ?

       Face à cette interrogation, deux cas de figures :

        1 / Chastenberg l'a connait en effet, mais s'il dit au gars "Oui, je la connais..." , cela va produire un effet désastreux sur  l'ambiance, et cela va attrister le pépère qui n'avait qu'une envie, "raconter son histoire, partager un truc délirant et bien rire après comme pour vivre un peu plus". Et ça, Chastenberg ne le peut pas.

        2 /Chastenberg ne l'a connait pas et dans ce cas particulier et plutôt rassurant pour lui, il ne peut dire que "non, raconte.. "

    Acte 1

        Le gars (appelons-le René pour plus de facilité dans notre récit) commence son histoire. -dans un fou rire hystériquement hoqueteux-  qui oblige Chastenberg à prendre un visage béat, rieur, niais, complice.... ponctuant les fins de phrases de René de petits rires mi-nerveux, mi-crispés (avec un troisième mi-quelque chose, je me place dans la logique du 4/3, non ?)

    René enchaîne sur un ton jovial, pétillant, sûr de lui. On sent qu'il fait des efforts de scénarisation, émaillant ici et là son récit de repères bien précis et d'allusions personnelles..

    [mode dans la tête de Chastenberg on]
 Déjà  à ce niveau, Chastenberg est très mal à l'aise. S'il montre que la blague l'ennuie, il casse le moral du conteur, s'il en fait trop, il prend le gars pour un imbécile, s'il est trop crispé, il anticipe sur la chute. (mais pourquoi lui raconte-t-on des blagues ?)
  [mode dans la tête de Chastenberg off]


    Dans ce cas, une erreur monumentale de la part de Chastenberg arrive quelques fois.

    René :  Et le berger dit " ça sent bon le pastis" (il reprend son souffle)

    Chastenberg (qui interprète cette pause comme la fin de la blague) : Ha Ha Ha ha ... elle est bien bonne ! Sacré René ! Mais où vas-tu chercher tout ça ! Moi, je n'en retiens aucune ! Ha Ha Ha !

    René : mais ce n'est pas fini !

    [Une ambiance de chutes de glaçons qui crissent, de moraines languissantes, de neiges éternelles époustouflantes, de blizzard cotonneux, de flocons virevoltant, de spectres hideux et râleurs, d'huîtres chaudes à digérer, de gigôt bouilli à la menthe quand on va manger chez des amis .... une ambiance se répand comme une nappe de brouillard neige-carbonisé]

    Chastenberg : Elle est déjà bonne comme ça .. mais vas-y ! (il se sent honteux et maladroitement imbécile)

     Là, nous allons nager en plein drame car René termine sa blague par :

    - Et elle, (pause) souriante comme une chauve-souris qui nidifie (pause) s'en va sa bouteille de gin sous les pies !

    Il insiste :

    - Sous les pies...

    Et enchaîne par :

    - Ha Ha Ha ! Les pies.... Ha Ha Ha ! Hi Hi Hi ! ( A ce moment précis, René se tape parfois sur le ventre ou part dans un éclat de rire qui n'en finit plus... parfois une minute, une minute et demie... interminablement rieur)

    Acte 2

    Le plus souvent, à ce moment précis, Chastenberg vit un vrai calvaire car il n'arrive pas à rire de façon forcée un si long moment surtout qu'en la circonstance les pies... bof ! ça le fait très moyennement sourire ! Pour compenser, tour à tour, il imite le spectateur enthousiaste qui bisse, le footballeur qui fait un saut de cabris parce qu'il a balancé son outre de cuir dans un filet à provisions, le rigolo qui en redemande, le badaud bedonnant qui ricanne, le paysan qui jette une volée de grains de maïs à de sots volatiles comestibles, un cuistot qui cuisine tard des tétards, ou un énergumène qui postillonne en se dodelinant pour se donner la suffisance des rois du pétrole).


    Epilogue

    Chastenberg n'a absolument pas rigolé dans sa tête, mais uniquement sous assistance et sous tente à oxygène.


2ème cas - Le gars qui raconte un récit qui ne l'intéresse pas

Mise en situation : un gars (un ami, un parent, un collègue, un voisin) arrive, un lourd dossier à la main, des images pleins la tête, des photos dans les poches, des allusions ludiques dans sa tête. Ce gars a pour habitude de raconter sa vie à qui veut (ou ne veut pas) l'entendre. Il a besoin d'un public et d'un abbé confesseur.

Donc, sans lui demander son avis, il entame un récit très détaillé de son dernier voyage en Papouasie Nouvelle Guinée ou de ses péragrinations malheureuses avec le fisc, avec son co-locataire, avec son ex-compagne ou avec son charcutier (qui ne vend pas du bio mais vote pour des êtres hideux dans leur tête).

Le truc va durer à coup sûr 3 heures montre en main (c'est un peu comme les parcours de GR, il y a une typologie précise et très fiable des trucs qui durent). Le gars, (appelons le Jérôme) va entrer dans les moindres détails, indiquant ici un texte réglementaire, là une interprétation savante d'un expert en café du commerce, ici un commentaire généraliste...

Dans ce cas, que fait Chastenberg ?

Il s'intéresse à la vie de l'autre pour ne pas le décevoir... et c'est long, long, long.... (et quelque part, ça le met très mal à l'aise)

ça le démoralise complétement puisqu'en fait -dans la plupart des cas- le gars n'a fait que solliloquer sans aucune écoute pour les interventions de Chastenberg.

A chaque fois, dès son récit terminé, rien ne l'intéresse plus, il maugrée quelques mots et s'en va, en guettant du regard sa prochaine victime.

Epilogue

Jérôme avait juste besoin de sortir des mots de sa tête pour la vider un peu d'une sorte de trop plein qui la minait. Qui laminait aussi son entourage.

Cela attriste beaucoup Chastenberg parce que lui, du coup, il a dans sa tête le trop plein de l'autre et ça lui a mis un bourdon qui a côté de la cloche de Notre de Dame de Patis n'est rien !

3ème cas - Le gars qui sert à table et qui veut à tout prix terminer les plats dans les assiettes des autres

Mise en situation : un gars (un ami, un parent, un collègue, un voisin) louche en main, écumoir sous le bras, tire-bouchon sur l'oreille, entonnoir sur la tête, remplit autoritairement l'assiette, le verre, l'estomac, la chemise de Chastenberg. Nous sommes en fin d'un repas pantagruélique, et le ventre de Chastenberg ressemble plus à une vessie de porc farcie qu'à un p'tit nombril de jeune fille en mal de regard sur son égo.

Donc sans lui demander son avis, il rajoute des pâtes, de la sauce, des tripes, du poisson frit, des glaçons dans son verre, une part de gâteau, du champagne dans sa flûte, du sucre dans son café, des beignets de pommes dans une coupelle, des amuses-gueules, des brocolis au gingembre, un enième verre de Margau.

Chastenberg refuse poliment, mais l'autre lui dit :

- Tu n'aimes pas ? C'est du bon ! J'y ai passé une grande partie de la matinée pour préparer tout ça.. franchement ! Tu en reprendras bien ! Tu aimes tant ça !

A ce moment précis, Chastenberg tend son assiette, son verre, sa gourde, sa cuillère, son bol, sa gibecière, sa bouche, ses narines pour humer l'odeur qui se répand, il fait virevolter son verre pour apprécier la robe, la couleur, l'éclat du liquide.

- Non, non c'est excellent !

4ème cas - Le gars qui veut à tout prix lui fêter son anniversaire

Mise en situation : un gars (un ami, un parent, un collègue, un voisin) ayant scruté avec attention le calendrier se précipite, lui téléphone, lui envoie un email,  dès le petit matin pour lui indiquer qu'il a vieilli d'une année.

Snif.

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Dernière mise à jour : 31 mai 2002 Valid HTML 4.0!