Histoires de Chastenberg

XXVI

Le tribunal des idées.




Chastenberg levez-vous !

Mal rasé, inquiet, le cheveu rebelle, l’œil injecté de sang, il se leva.
Ses mains tremblaient un peu, sa respiration était courte et sonore. Il devait avoir peu dormi.

Une voix lança :

C:\ > MESDAMES ET MESSIEURS ...... LAAAAA COUR !

Un gros bonhomme rougeaud entra, suivi d’une dizaine d’autres personnes. Le président de la Cour était un homme mince, le front dégarni. Il portait une paire de lunettes de soleil, un Lévis’Strauss et un boubou africain chamarré vert et blanc à grandes fleurs orangées. Sur le revers droit de son vêtement un pin’s contre le sida et une médaille sur laquelle était inscrite une phrase en matin : “Consilia cum omnibus, tum mihi grata.”
La Cour prit place dans un tumulte de cliquetis de clefs, de froissement de taule, d’éclats de voix ...
Une femme hystériforme hurlait à travers un hygiaphone : “ SILENCE ! SILENCE ESPECE DE VOYEURS CONSUBSTANTIELS ET BULBEUX ! “

Le silence se fit au bout de longues minutes qui n’en finissaient pas.
Le jury entra.
Il était composé de 8 personnes et d’un chat.
Celui-ci était chaussé de peaux de phoques et mâchonnait un sucre d’orge carminatif qu’il tenait entre ses pattes.
Trois femmes d’allure incertaine jouaient du cromorne.
Le chef du jury, un être joufflu et pansu, regardait fixement devant lui, extrêmement fier du rôle social qu’il devait jouer, il tenait dans son bec un fromage, dans ses mains le Code Pénal et le dernier numéro de la revue consumériste “ Que Choisir”. Un des membres du jury, moustachu, mastroquet de son état, avait porté des boissons pour le public, des œufs durs et de la mayonnaise allégée.

C:\ > Vous pouvez vous asseoir, dit le juge.

L’assemblée s’assit. Le prévenu également.
Un parvenu, hilare, resta debout.

Chastenberg était à ce moment précis, dans une sorte de box, style bungalow du Club Méd’, entouré par deux représentants de l’ordre, des VRP de la Fonction Publique.
Des agents de bureau en uniforme beige, bâton à frapper à la ceinture, sifflet à roulette à la bouche, semblaient écrire sur de petits blocs de papier. Derrière Chastenberg se tenait Amandine Pinson, son avocat, qui donnait de temps à autres des fruits frais aux policiers en tenue qui étaient couchés sur le devant du barreau, histoire de les apprivoiser .
Pinson était une femme d’une trentaine d’années, les cheveux courts, l’œil vif, les sourcils fins et entretenus, minijupée, arborrant un chapeau de paille couleur fraise, faisant toujours de grands gestes circulaires pour préciser ses propos, trépignant pour prendre la parole, se mouchant bruyamment quand l’accusation s’exprimait, chantant parfois en pleine audience, faisant des bruits de stylo qu’on frotte contre un mur quand ça l’arrangeait, simulant l’évanouissement à chaque fois que ça tournait au vinaigre pour son client.
Le juge demanda le silence.
Il l’obtint facilement aidés en cela par des hommes cagoulés, carabine à la main.
La foule écoutait docile, pendue à ses lèvres charnues et mollassones.
Le juge commença un bref discours introductif :

C:\ > Mesdames et messieurs ... il s’arrêta un court instant pour lire un papier placé sur une serviette de cuir sur laquelle était gravé : “ Droits et obligations du Juge”... j’ouvre solennellement la 28ème séance annuelle du tribunal plénipotentiaire de Ploumenach, dans laquelle nous devons examiner l’Affaire Chastenberg... coupable... d’être en marge au feutre ROUGE .... et de semer la zizanie parmi les habitudes de ses concitoyens.

- Ne m’insulte pas, gnaffon... hurla un jeune des banlieues, vexé.


C:\ > Amenez les couleurs et faites entrer la fanfare ! précisa sa sainteté le juge.
Il but une gorgée de gin et continua en s’adressant au Procureur Général :
C:\ > Monsieur le Procureur Général, vous pouvez commencer votre réquisitoire.

Celui-ci, visiblement mal installé entre deux âges, débuta sa plaidoirie :
- Votre excellence, mesdames et messieurs les jurés, Madeleine, Jules, Robert et Dominique, le cas qui nous intéresse ici n’est pas banal... nous devons parler en ce jour d’Auguste Dimitri Xénophon Chastenberg, plus connu sous le pseudonyme de Chastenberg. Regardez cet homme ( il attendit avec élégance que tout le monde le regardât pour continuer ) ... il nous semble tranquille ( des “oui, oui !” fusèrent de l’auditoire )... paisible comme une brebis ( des “ C’est vrai”, “ c’est sûr” étaient chantés sur l’air de la mort d’Iseult..) Ne nous y trompons pas ( “ Non !”, “ Assassin!”, “ Salaud! “, “ Vache folle!” ) ... cet homme.. OUI CET HOMME... ( il montrait d’un doigt manucuré ) est vil, pernicieux, abject, ignoble, outrancier, anormal, égyptologue, dément.... capable de véritables MAZARINADES.
Un cuistot en vacances qui avait compris MARINADES éplucha un oignon et décapsulant un petit bocal, prit entre ses doigts quelques clous de girofle.
Un gros cultivateur du coin se leva et cria : “ Qu’on le pende par les pieds jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Fouchtra ! , il s’enfila dans le gosier une rasade de chouchène et se rassit. La foule acquiesça d’un cri rauque et guttural.
On demanda le silence.
Le Procureur continua :
- C’est un homme DANGEREUX qui OUVERTEMENT se moque de tout. C’est la lie de notre bonne société catholique et apostolique ! Sans foi, il se moque de la LOI ... ( Chastenberg eut un renvoi puis un goût aigrelet dans la bouche )...
La foule hallucinée hurlait des grossièretés en patois pour ne pas être comprises des jurés, qui maniéristement se tournaient les pouces dans tous les sens.
Un vieillard chenu, debout sur un tabouret, haranguait l’assistance publique en montrant une relique de l’Ordre du Mérite et de la Résistance. Un joueur de Mah-jong engagea la conversation avec un journaliste sans scrupules. Le Procureur essayait de conclure :
- CHASTENBERG n’a pas d’âge, n’a pas de domicile connu, n’a pas de profession véritable, n’a pas froid aux yeux... Honte à lui !.. n’est pas marié... ( “Oh ! Oh! “ tempêtait la flopée vociférante ) ... Voyez cet air sournois ! Voyez ce rictus insolent ! ... Voyez ce teint aviné !... Pourtant, il en est responsable ! A ce titre, il doit être condamné ! Sachons, hommes et femmes de CE pays, imposer un jugement qui fera date, qui servira d’exemple aux générations futures, NOS ENFANTS, notre sens de l’honneur !
Chastenberg se sentait décati.
Des gens, hirsutes, pariaient sur la future décision des jurés ( à ce propos, nous venons de recevoir le sondage IFPOS sur un échantillon représentatif de 12 millions d’individus, nous obtenons, coupable : 80 %, ne sait pas : 18%, non coupable : 2%....... on voit bien que l’individus mis en examen n’est pas très net ! Flagrant, non ? ), un sommelier proposa un lot de saucissons et une charlotte aux poires et aux citrons pour appâter les badauds et pour donner un intérêt aux enchères, quelqu’un d’autre proposa un appeau à cigales et un peignoir à cheveux.
Le Procureur termina son monologue en s’adressant au Président :
- Voilà, votre altesse, j’ai terminé.
Le Procureur, ivre de colère, se rassit et entreprit une bataille navale avec l’huitrier à col blanc ( un spécialiste de jeux nautiques ).
Le juge, à moitié endormi, se recala dans son fauteuil, s’éclairçit la glotte en avalant une pilule mentholée et éructa d’une voix puissante :

C:\ > La parole est à la Défense... Maître Pinson... si vous voulez bien !

Amandine Pinson fit un large geste de la main, et déclara :
- Mesdames et messieurs, chers enfants, voyez le Soleil, les étoiles, la douvelle avinée, les tracteurs luminescents dans la nuit lustrée du terroir profond, voyez le rubigineux horodateur de la ville tentaculaire.... n’y-a-t-il pas une beauté cachée , une équivoque diffuse dans ce qui est incompris ? Pourquoi, nous demande-t-on de JUGER ( elle les regardait avec colère ) de juger mon client, cet anticonformiste ( elle lui jeta une œillade complice )... Pourquoi ? ( elle respecta la minute de silence qui permettait la génuflexion )... parce qu’il n’agit pas comme la plupart d’entre nous ! POURQUOI ?
Elle lança un regard empreint de mysticisme à Chastenberg et s’assit avec lenteur, dévoilant l’échancrure d’un sourire timide.

Elle joignit les mains en signe de recueillement puis marmonna, dans un silence sculptural : “ J’ai fini ! “

Le juge, mal réveillé par son assesseur de droite, dit dans un bâillement :
C:\ > Nous allons entendre les témoins...

Chastenberg l’interrompit :
- Votre honneur, j’ai présentement une lampe témoin sur moi.
Le juge demanda une fouille immédiate des poches de l’accusé, y compris les poches qu’il avait sous les yeux !
On trouva la lampe témoin qui prêta serment, puis ayant une forte tendance à la procrastination dit : “ A demain ! Je reviendrai !”. Amandine Pinson se mordit les lèvres de confusion.
Le juge était en colère.
Chastenberg plaça son annulaire sur son pouce et fourra le tout dans sa bouche. Les exégètes interprétèrent ce geste comme la symbolique de l’Agneau Pascal chez les touaregs sahariens.
L’Homme de Loi, mécontent de la gestuelle chastenbergienne, humidifia ses lèvres et dit :
C:\ > Nous appellerons respectivement à la barre : Andrianapoulos, PAtricia Chougnard, Duval, Greta Mamelle, MAndarine, Grebnetsach et sans doute d’autres témoins si l’occasion s’y prête... Monsieur le greffier ... pouvez-vous aller quérir Mademoiselle Andrianapoulos ? Un pauvre malheureux qui avait un bras articulé en plastique et une jambe de bois se leva en dodelinant du chef.

Andrianapoulos regardait Chastenberg.
Il frissonna tant elle était belle dans sa robe en dentelles blanche et noire, plissée de larges rubans bleus, peut-être en satin. Il avait un pincement au cœur.
Andrianapoulos s’approcha de la barre, prêta serment puis répondit à la première question du juge : “ C:\ > Pouvez-vous décliner votre nom et votre prénom en latin ? Votre profession et les circonstances qui vous ont fait rencontrer l’accusé”
Elle retint son souffle visiblement intimidée par les caméras de télévisions et les fils de micros qui pendaient ça et là.
Soudain, elle expulsa sa réponse d’un seul trait de voix :
- Je m’appelle Cerise Andrianapoulos, je suis née à Barcelone il y a maintenant 77 ans et 6 mois, j’ai le cœur tendre comme la mie de pain, les passions qui débordent... comme quand... la mer se brise sur les rochers..
Le juge l’interrompit :
C:\ > Quel âge dites-vous avoir ?
- 25 ans et 3 mois !
C:\ > Quel âge ?
- 35 ans et 5 jours
C:\ > Bon, laissons tomber, nous n’en saurons pas plus !
Elle s’écroula fébrilement puis se mit à rouler sur elle-même . On apporta prestement des barres asymétriques et commença alors un exercice très osé dans le cadre d’un tribunal.
Le juge l’interrompit dans sa prestation :
C:\ > Soyez plus concrète ! Assez de pitreries ! Nous vous demandons des faits!
Andrianapoulos, en nage, éclata en sanglots et s’écria :
- Dans sanglots, il y a sang ! Vous ne voyez pas qu’il y a mon sang à terre !
Il regarda. Rien. Sans doute une métaphore. Compliqué ce jugement ! Se demande s’il ne va pas se recycler dans la grande distribution ! PLus calme ! Ah ! Le calme d’un charriot qu’on pousse !
Elle essuya ses larmes avec un kleenex et continua dans un hoquet pour enfant triste :
- Je travaille à la Clinique du Sud, vous savez ...
C:\ > OUI, NOUS SAVONS... CONTINUEZ !
Chastenberg, passablement agacé, lança un regard savonné et glacial au Juge qui le reçut en plein dans l’oreille. Cela le rafraîchit désagréablement.
Notre homme de Loi, la trompe d'Eustache tuméfiée, les escoutilles en feu, regarda autour de lui qui était coupable de ce geste d’humeur... Personne ne fut remarqué... Pas même l’homme à la peau squameuse, qui depuis le début du spectacle, feulait plus qu’il ne parlait - en spechgesang- des vers de Shakespeare.
Un nomade comprenant que le Cheik expire, récupéra son dromadaire et regagna ses patates.
Andrianapoulos continua :
- Chastenberg est un idéaliste ... un utopiste, un humaniste et je suis heureuse de l’avoir rencontré ! Il m’a tout appris : chanter avec les étoiles, regarder les secondes défiler, étudier chaque mouvement du vent, exhumer des odeurs nouvelles en caressant les fleurs, s’en prendre au Créateur pour le moindre manque d’émotion...

Chastenberg fasciné par l’audace de la mystérieuse Andrianapoulos, était en adoration devant le timbre de sa voix. Du sirop d’orgeat ! Des intonations douces et câlines comme .... dans cette publicité pour papier WC quand in voit un oiseau, un gondolier et une sorte de reptile repu ... flou artistique couleur safran.. et cette voix suave ,venue de nulle part, qui décline les senteurs d’automne reproduites sur la feuille ouatée ..Splendides images baignées dans une moisson de notes surgies d’une guitare sèche... mais ... nous nous éloignons... nous nous éloignons...à grandes brassées souples... le gondolier murmure une mélodie catalane... Qui n’a pas entendu une mélodie catalane chantée par un gondolier, n’a rien entendu !
Le cuistot avec son saladier remplie de marinade fit un signe de croix comme pour exorciser le mal.
Andrianaoupols, proche de la prière, continuait pendant ce temps :
- Chastenberg ne doit pas être puni pour ça ! Pour ça !

Isolé dans son box, Chastenberg venait de recevoir une série d’uppercuts à la mâchoire. Ces paroles lui faisaient à la fois du bien et atrocement mal ! Il essuya quelques larmes qui coulaient de son nombril.
Andrianapoulos se retira. Elle remercia la Cour, embrassa l’accusé et s’en alla sur la pointe des pieds. Le juge demanda alors au mutilé de service de faire entrer par la trappe de secours le témoin suivant. Le greffier, muni de sa raquette trapézoèdre réglementaire et d’une balle Dunlop terrain mou, se leva en titubant, se dirigea vers le trappiste et le pria d’ouvrir le trappillon. Il annonça :
- Patricia Chougnard, ancienne trappistine trapue !

La foule apprécia son jeu de mots, en éructant élégamment quelques rires complices qui fusèrent en une draperie communicative qui se déroula lentement, lentement; de plus en plus lentement...puis le calme revint.

On entendait à peine les dernières rimes d’Hamlet et le rebondissement de la balle de caoutchouc sur le parquet ciré du tribunal.

Patricia Chougnard, érubescente, apparut, un VTT à la main. Le bruit régulier du cycle faisait penser à un escalator monophasé à poutrelles souples , comme l’un de ceux qui charrie le monde dans les zoos et les galeries d’art ! Elle, s’était glissée dans un fourreau de cuir rose à pois verts, recouvert d’une veste blanche à larges manches ajourées. De petites lanières perlaient de ses sandalettes mauves pour finir derrière sa nuque en de grandes éclaboussures de soie. De ses oreilles pendaient des boucles en forme de poireau. L’assistance était interloquée. Chastenberg regardait la fille et lui fit un léger signe de la main. Elle lui répondit en plissant les paupières. Le Juge remarqua le manège et hurla :
C:\ >MADEMOISELLE CHOUGNARD ! Veuillez avancer jusqu’à la barre des témoins.
De nombreuses petites lampes testaient maintenant l’intensité électrique sur la poutre de chêne qui servait de reposoir aux mains des individus.

Patricia Chougnard commença son intervention :
- Je m’appelle Patricia Chougnard, je suis traductrice dans une maison d’éditions spécialiste des textes philippins, bretons, sénégalais, moldaves, esquimau et sanscrits. J’ai, je crois, 25 ans révolus depuis pas mal d’années maintenant, les yeux bleus cuivrés, je porte des lentilles pour mieux entendre les couleurs, mon tour de chant est de 85 cm, je ...

C:\ >MOINS DE DETAILS, MLLE CHOUGNARD ! Venons-en aux faits !

- Auguste est mon voisin de palier. J’ai de l’estime pour cet homme simple, simplet par moment ! Je l’ai connu au Bal des anciens du Prêche Tibétain. Nous fîmes très vite connaissance du monde, nous sympathisâmes, nous devisâmes, nous papotâmes, nous rigolâmes, nous dégustâmes de petits pâtés chinois. Il ne dansait pas à croupetons, moi non plus. Il écrivait sur la nappe de petites histoires cocasses. Nous terminâmes la soirée devant un verre de lait aux oranges, à mon domicile. Voilà comment j’ai rencontré Auguste.

L’assistance émit quelques murmures. Le Juge réclama le silence. Ipso facto, le silence se fit. D’un geste lascif, il demanda à la fille de poursuivre son propos. Très en jambes, elle ne se fit pas prier :
- Ce procès est une MASCARADE ! Il n’y a aucun motif sérieux d’inculpation !
C:\ >Ce n’est pas à vous d’en juger, MADEMOISELLE !
- C’est POLITIQUE !
C:\ >ASSEZ !
- Nous ne gênons en rien la Société !
Le public manifesta sa réprobation. On sortit des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des slogans du type : “ A bas Chastenberg ! “, “ La prison ! La prison!”. Les gens se tenaient par la main, des briquets allumés tendus vers le condamné.
Patricia Chougnard demanda si elle pouvait s’en aller. On lui dit que oui. Passant devant l’accusé, elle lui marmonna à l’oreille son numéro de téléphone et lui promit un repas d’étincelles parfumées !
Ses senteurs étaient encore dans le prétoire quand on demanda le témoin suivant.
Un jeune homme apparut.
Il était frêle, portait des mocassins jaunes et buvait du Coca-Cola light. Sur son T-shirt était marqué, à moitié effacé, “ Taxiway in London”. Une salve d’applaudissements accompagna son arrivée. Quelques sifflets à l’américaine puis le silence. Il passa négligemment un peigne dans ses cheveux gominés, sortit un miroir de sa poche revolver, se regarda un court instant, le pouce tendu vers le haut comme pour signifier que tout était OK, puis fit signe qu’il allait parler :
- C’est irrespirable, c’te piaule ! Drôle de zinc !
C:\ >Exprimez-vous correctement où je vous tonsure !
-OK ! Cool pépère !
C:\ >Huissier, FOUTEZ LUI UN BEIGNET DE MA PART ! ET UN GRATINE !
-D’accord, ne vous énervez pas ! J’t’explique ! Je m’appelle Charles Duval... j’ai été élevé chez les jésuites où j’ai rencontré l’gars qu’est ici ( il désigna Chastenberg )... l’horreur ! ... tu vois la galère ?... Hein ? Ces cours étaient anarchiques ! ( il pointait un doigt vengeur ) il appelait à une révolution totale de la société ! tu piges ? .... il encourageait les meufs à se libérer ! D’HAB, C’EST COOL! Il doit payer pour cela ! ( il cracha par terre )
L’huissier se précipita, une serpillière entre les dents, et essuya le parquet ciré.
Le juge était tétanisé par les propos du jeune écervelé, heureusement il avait été piqué la semaine dernière ! Et c’est tant mieux !

Gréta Mamelle fut introduite. Vêtue d’une longue robe libidineuse de crêpe noir, elle semblait libérer des effluves expulsives de sensualité.
Chastenberg se moucha.
La femme se présenta. Elle était sage femme, artisan philosophe à la faculté de parapsychologie de Maubeuge.
Son témoignage fut une longue évocation des mœurs nocturnes de l’accusé : son goût pour les papillons vivants, sa passion pour les fleurs asiatiques, son blâmable sens de la fête, son amour pour les jeux de mots, ses idées toutes personnelles sur les sauriens, ses hivers, ses étés froids, ses agitations spontanées, sa dévotion pour les perséides laiteuses. Elle prétendit avoir eu une liaison copulative avec Chastenberg dont la seule évocation lui faisait trembler les corolles labiée, bilabiée et papilionacée !
Le juge, faisant pivoter sa chaise dans un grincement lugubre, annonça :
C:\ >Monsieur Chastenberg, qu’avez-vous à déclarer ?
- J’ai sur moi un briquet Feudor, un paquet de Malboro, un sachet d’Aspégic 500,.... ( il cherchait )... une tablette de chocolat Poulain, un paquet de lessive Sun, un minitel Matra, (il cherchait).... un pot de colle universelle forte Uhu, un effacil diluant Kores, une enceinte audio Lonsen, une disquette HD TDK et une lampe 100 W Philips.
Le juge l’interrompit :
C:\ >Et dans cette serviette qui est sur cette table à côté de moi ? Qu’y-a-t-il ?
- Cette serviette là ?
C:\ >Oui, rassura le juge.
- La question est difficile.... mais je connais la réponse.... je l’ai au bout de la langue. Il tira la langue pour confirmer son propos.
C:\ >Allez crachez moi ça !
- Pas assez de salive !
C:\ >Plus que quelques secondes. Huissier... Décompte !

10,9,8,7,6,5,4,3,...

- Je sais ! Je sais ! Stop décompte !

C:\ >....

- Ce n’est que votre sandwich au jambon et le sandow qui vous sert à fixer la serviette autour de votre cou, mon révérend !

C:\ >Bravo ! C’était moins une ! Vous venez de gagner une paire de menottes ciselées à l’or fin... Bravo encore pour votre perspicacité ! Mais n’y revenez plus !
Chastenberg s’en alla.

L’avocat Pinson injuria tout le monde, disant que Chastenberg devait rester car son absence lui faisait perdre pas mal d’oseille, qu’elle avait deux enfants - adorables du reste - à pleine charge, et que la vie était dure pour tout le monde, même pour les fruits tropicaux !
Chastenberg réintégra son box par sympathie pour la plaignante.
Un remue ménage régnait maintenant dans la salle du tribunal. Le juge déclara vainement qu’il fallait ne plus faire de bruits. Le greffier, malheureux dans ses interventions, lui porta six lances africaines qu’il venait d’acheter à un camelot togolais, présent dans la salle.
Les gens qui assistaient au procès, parlaient à voix basse, tout le monde jacassait, certains se disputaient pour faire une photo, d’autres piaillaient pour atteindre la buvette qui était au fond de la pièce, un seul récitait Hamlet en rythmant la rime par des claquements de langue.. peut-être était-il d’origine bushman?
Chastenberg dans ce vacarme prit la parole :
- Mesdames et messieurs ... mes amis... camarades... mes concitoyens... mes frères.... je voudrais.. vous exprimer toute ma gratitude en ce jour du 3ème anniversaire de la mort de Paul Emile Jacotey, fondateur de la Fraternité des amis du Collège de Saint Paul de Vence... Pourquoi, voulait-on me condamner ?
La foule criait : “ Oui, pourquoi ?”
- Je n’en sais rien... vous aussi ! Je n’ai JAMAIS fait de mal à personne ! Je n’ai qu’un seul mot à dire, et ce mot résonne comme un gong népalais ... ce mot est ... ( suspens ) LIBERTE.
Une salve d’applaudissements jaillit d’on ne sait trop où ( le savez-vous ? ) tel un artefact électrique. Des louanges, des compliments, des approbations, des éloges, des encouragements, des félicitations éclataient de tous côtés en une sorte de fugue phraséologique. Ici le sujet de louanges, là le contre-sujet de compliments, plus loin la réponse d’extase. La foule scandait sur l’air des lampions : LI BER TE, LI BER TE, LI BER TE...
Chastenberg leur répondait en présentant ses mains en forme de V.
Le juge essuya une larme avec le revers de sa manche droite, puis s’éclaicissant la voix à plusieurs reprises annonça dans un sanglot :

C:\ >La parole est à l’avocat général. Mon général, si vous voulez bien...

Celui-ci se leva, fixa intensément Chastenberg de son regard acier et s’écria dans un élan mélodramatique :
- NOOOOON ! Arrêtons ce scandale !
Le greffier, qui n’en perdait pas une, passa les menottes à travers une chaussure formée d'une simple semelle retenue par des courroies.
L’officier continua :
- Finissons-en avec cette histoire à dormir debout !
Le juge qui venait de s’assoupir, n’entendra malheureusement jamais son propos.
- Je demande la peine de Mort !

Mort Schumann entra dans le réceptacle, l’œil larmoyant, du Dacryosérum dans une main, son dernier album dans l’autre... Le visage était défait... le nez se trouvait à la place des lèvres, les oreilles pendaient de la bouche et le menton paradait sur le front... triste... triste... éternellement triste...

Le juge demanda au militaire :
C:\ >Cela vous convient-il ?
- C’est parfait, répondit le gradé très ému.

Mandarine entra dans la salle qui ressemblait maintenant à une kermesse villageoise.
Se frayant un passage à travers cette fête votive, elle paraissait un peu gênée par tout ce vacarme. Elle avançait à petits pas, comme quand on danse la java, puis s’arrêta près de Chastenberg, lui prit la main et l’entraîna au dehors . Ils sortirent sous des volées de riz pendant qu’un accordéon massacrait dignement un alléluia. Amandine Pinson levait les bras au ciel, le greffier muni d’un tube à pavillon évasé trépignait de joie, le général - un fusain à la main - dessinait nerveusement le visage de Greta, Duval, contrarié, fusillait du regard le fusiforme solifuge qui était perché sur le doigt de Patricia Chougnard laquelle brûlait de longues cassolettes remplies de nard, d’encens, de cinnamome et de myrrhe...

Chastenberg signa quelques autographes, rapidement, puis disparut dans un nuage de fumée opale. Des éclairs marquèrent son absence.

Le juge referma le dossier poussiéreux qui était devant lui, prit son sandwich, ajusta le sandow et annonça dans un bruit de mastication :

C:\ >La séance est levée. Qu’on se le dise !

Les gens se murmurèrent à l’oreille le dénouement puis le public applaudit. On bissa les différents protagonistes. Dans un bruit de flon-flons le rideau se baissa. Toutes les lumières s’éteignirent en même temps. On entendait plus que le claquement d’un feu d’artifice tiré au dehors, puis des “ Oh la belle bleue !”... “ oh la belle parme !” ... scandaient par de jeunes enfants.
Très vite, la salle retrouva son calme. Seul le le tic-tac de l’horloge rendait encore son verdict en laissant s’écouler avec rigueur le temps.

Tout était terminé.






Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!