XXV
Chut ! Chastenberg se déguise.
Mademoiselle,
comment vous appelez-vous ?
- Mandarine fit la souriante brune aux yeux glauques qui
se trouvait devant Chastenberg.
Celui-ci était déguisé - habilement-
en un livre de poésies relié or dont le titre était
: “ La poésie des silences”.
Il était à présent entre les mains
de la jeune fille, il savourait le contact chaud de la pulpe de ses doigts
oblongues, le velouté des gestes qui tournaient les feuillets, la
peau parfumée... le crissement du papier lorsque la lectrice imageait
le texte dans sa tête, l’assouplissement du coin de feuille par l’humectation
salivaire qui est le propre des lecteurs enthousiastes... la rectitude du
regard qui glissait le long de l’horizon des mots, puis s’arrêtait,
puis repartait, la musique des paupières.
Elle arrivait page 9.
Elle lut : “ Je l’aime à la poulie d’un navire
à trois jambes”
- C’est beau comme la folie des étoiles s’exclama-t-elle
en pressant le petit livre sur son sein.
Il était aux anges. Coussin chaud de l’émotion
naissante.
La fille replaça le livre sur l’étagère.
Chastenberg se résolut alors à changer de
déguisement. Il prit l’apparence d’un jeune homme élégant
et svelte, habillé d’un costume vert, portant une cravate mauve,
un chapeau tilleul en forme d’infusion et fumant un petit cigare à
odeur de rose.
Elle le vit presque aussitôt et baissa les yeux.
Le bel individu, une branche de mimosa en main, s’approcha
d’elle.
Il lui baisa la main.
- Monsieur ?
Il la prit par la taille et la gabelle et ils commencèrent
à danser une valse lente à deux temps. Sa tête s’abandonnait
et des accords de musique de sel se diffusaient dans la pièce.
La valse s’arrêta in petto.
Chastenberg se trouvait devant Mandarine.
- Mais qui êtes-vous ?
- Chastenberg
Elle s’enfuit.
Chastenberg se retrouve seul dans ce jardin public, déguisé
en fontaine. Parfois des gens boivent de son eau en faisant des coupes de
leurs mains, d’autres hurlant que ce n’est pas de l’eau potable, parfois
des chiens, excités par le bruit de l’eau, lèvent la patte
et arrosent son tablier.
A part cela, tout est calme et il peut rêver.