XXIV
La grande peur de Chastenberg.
Chastenberg
, muni d’un saucisson à l’ail dans sa main droite, reprend un peu
du poil de la bête et de sa respiration. Il va vous dire qu’il est en
train de déguster un plat chinois à base de lentilles vertes
du Puy, de riz de Camargue et de lapin de Provence.
L’atmosphère est pesante pourtant il s’est rasé
de frais, habillé de gel et de pointes de poivre vert. Sans geste
agressif, il prend une voix de velours marron et se met à hululer une
chanson de Tino en alsacien, cela fait sourire la grande brune qui est en
train de se consumer face à la petite blonde qui se trouve dans une
chopine devant lui. Une bien sexy chope !
Chastenberg a peur.
Il a énormément peur que le ciel lui tombe
sur les pieds !
Il regarde avec douleur l’assiette ci-devant lui remplie
de lentilles frémissantes et de riz long. L’assiette lui semble ENORME,
comme une chambre à coucher de soleil. Il s’aperçoit malheureusement
qu’il n’est plus dans son assiette. Il sort alors du restaurant chinois.
Chastenberg a peur.
Il voit une silhouette qui ne lui est pas inconnue.
Non, étrange Chast’ ce n’est qu’un mirage, une
illusion dioptrique, un malaise cornéen, une divergence globulaire,
une amas graisseur résiduel !
La même silhouette réapparaît vêtue
d’un poncho, une raquette de ping-pong sur la tête. La silhouette est
en fait un jeu d’ombres chinois sur le mur. Elle s’approche et se met à
pérorer péremptoirement : “ Mais c’est mon Chastenbergilou
chéri...”
Il est surpris, personne depuis sa nurse anglaise ne l’avait
appelé comme ça. Etrange.
La silhouette dit habiter du côté de chez
Anne et être funambule hystérique, la nuit à Montmartre.
Il est sceptique.
La silhouette fait alors une pirouette et se perche sur
le nez de notre homme en soliloquant : “ Mais ce n’est pas un nez, c’est
un percheron, un tomahawk, une fraise orthochromatique, un stroboscope, un
églefin, un saccharimètre, un théodolite, une nasalité
protubérante, protactile, odoriférante, un gigantisme, un réservoir
diaphane.
Lui, applaudit en se tapant les cuisses comme pour dire
: “ Halte là ! Les armées sont fortes mais périssables
!”
Alors, il se lève, repousse la silhouette d’un
revers de menton et sort de sa torpeur.
Mais il voit bien qu’il y a peur dans torpeur !
Pour ne plus y penser, il enfile des perles le long d’un
fil électrique jeune, c’est impressionnant et féerique.
Il pense à Mandarine, son rêve le plus beau.
Il y pense tellement fort qu’elle se matérialise
devant lui. Elle parle d’une voix éternelle, entre la mélodie
douce et le chant de l’aurore. Elle raconte son regard, les grandes étendues
de sable, les galets érodés par le temps, la mer qui tonne,
gronde et soupire, la furie des éléments.
Elle lui murmure des mots limpides comme les dunes, beaux
comme les vagues, chauds comme le vol des mouettes.
Etrange, mais Chastenberg n’a plus peur.
Il imagine les roches évanescentes dans la brume,
les myriapodes accrochés le long des parois dans les fonds abyssaux,
les effluves de parfums iodés, le clapotement du vent qui suinte sur
l’écume, la muscade des rayons de lumière effleurant la crête
blanche que créé le sel sur l’eau, le myosotis écho
de l’onde qui se transmet de cercle en cercle ...
Il n’a plus peur.
Il rentre chez lui car Mandarine s’est isolée dans
un poème qui passait dans l’au-delà de son rêve.
Il s’allonge sur le plafond et ferme les yeux à double tour.