Histoires de Chastenberg

XXI

Un jour dans la vie de Chastenberg, une étoile et
un petit pot de crème fouettée...


Ce matin, notre homme ne sait plus quoi faire de son temps., alors il écrit tout en se regardant dans un miroir .
Il écrit une lettre d’amour.

Mon amour de porcelaine et de safran

Il raye “safran” trop paëlliesque et certainement trop lourd à digérer surtout par ces chaleurs tropicales !
Il rédige :

Mon amour de porcelaine

ll conclut, troublé par son audace :

Je t’aime

Surtout NE pas mettre de point final ! Il faut que ça dure, ça dure... ça dure... longtemps... un long temps charnu et charmant

Il s’arrête.
Il relit son texte, médite un moment, hypnotisé... Le silence s’oppose au tic-tac angoissant de son cœur.
Tic
Tac
Tic
Tac

...


La lettre est bien troussée : courte, franche, précise, ciselée ... essentielle... C’est vrai que la plupart des gens écrivent trop de mots pour dire bien peu de choses.. ils se contentent de palabres transcrites et simples !

Il plie soigneusement sa lettre, la fourre aussitôt aux dattes, puis la met au four pour qu’elle cuise un peu et qu’ elle enflamme sa passion.
Ah, sa première lettre d’amour, trop cuite qui s’était émiettée au simple contact des doigts, brisée, réduite en poussière en de petites émotions diaphanes.
Plus tard, l’odeur de l’enveloppe et de l’encre marine envahiront l’appartement.
Il prendra délicatement la missive, la roulera avec dextérité dans un tube d’aspirine, et placera le tout dans sa poche en hurlant des slogans ubuesques et lascifs, élan d’une sensualité à fleurs de peau. Comme elles seront belles et majestueuses, il les arrosera, les placera dans un vase de bronze et sortira.

Dans la cage d’escalier, petit oiseau perdu emprisonné par l’homme, il rencontrera Patricia Chougnard, l’embrassera sur la bouche et sur la fesse droite ( sa plus tendre ) et lui priera de venir prendre le calvados avec lui après le débat télévisé sur les potences en Normandie.

Elle acceptera.

Ivre de joie, il se précipitera dans la rue, heurtera au passage Vladimir Jankélévitch, qui habilement se dissimulait derrière un lampadaire, renversera un pot de confitures aux fraises qui était nourri au sein en déséquilibre sur la tête d’un taxiphone, et s’emmêlera les pinceaux sur un monceau de fiente de chien ( à l’odeur, d’un teckel à poils ras ) déféqueusement placé sur l’établi du peintre.

Arrivant près de la poste, il entendra un cor de chasse qui regroupe les passants, ça lui fera penser à sa copine de trèfle. Il entrera dans l’officine comme on percute une vieille dame et s’ excusera dans les trois langues qu’il connaît. En fera-t-il trop ? le spectacle sera-t-il digne ? mais qui peut le plus, peut le moins ! Je peux peu mais j’en veux pensera-t-il.

Il reconnaîtra lez-le guichet de la poste restante, son collègue Bernardin, le saluera du cheveu, style “t’as vu l’épi” puis dans un geste virevoltant et aérien glissera dans la boîte aux plis, sa lettre d’amour. Les badauds étonnés continueront à badiner comme si rien ne s’était passé. Lui toisera son monde, dodelinera de la tête ici, puis là... tournera les talons avec une gouge et un goupillon, et s’en ira. La foule applaudira, satisfaite du spectacle ! Quelques profiteurs en redemanderont.

Il regardera l’horloge centrale, celle qui est au-dessus du prunier de la poste, il sera encore trop tôt pour qu’il soupire ! Tant mieux ce sera pour la prochaine fois ! Il rencontrera à nouveau Patricia Chougnard, en profitera pour lui miauler à l’oreille des mots fripons mais codés, qu’elle interprètera comme un compliment nippon. Elle sourira. Il la trouvera joyeuse ces jours-ci !

...

Ouvrant sa porte, il découvrira un petit morceau de papier froissé habilement plié en quatre fois quatre. Il sera contrarié et le dévorera des yeux par gourmandise.

Il refermera la porte qui le remerciera courtoisement.

Chastenberg ne saura plus quoi faire.

Il aura une idée.... L’idée...
Idée prodigieuse, colossale, pyramidale, amygdalitique, rhinencéphalique ...
D’un pas assuré et sourd, imitant le dromadaire tahitien ( vous savez celui qui couine comme un paon ! ), il se dirigera vers la salle de bain, y entrera et se trouvera face à face avec le miroir aux alouettes sans tête.

Il verra.

Face à lui, LUI.

Les deux visages s’observeront, s’imitant quelque peu.
Ne se quittant pas des yeux.
Chastenberg prendra la parole et s’enfuira..
L’autre criera : “ Au voleur !”
“Hors jeu, hors jeu !”

Chastenberg, l’air défait reviendra doucement sur les lieux du drame

- Dommage, murmurera-t-il, l’action était splendide.. Et puis, j’étais tellement en forme !
L’autre éclatera de rire.
Mille tessons joncheront le sol.
Hideux spectacle que celui-là !

Finalement, le visage de Chastenberg n’amusera plus Chastenberg.
Il prendra la seule décision intelligente : il s’en ira.

Mais...
Coups à la porte.
Il ouvre.
Personne, sinon la cage d’escalier vide.

- Entre, lui dit-il
L’escalier sort de sa cage et s’installe confortablement sur le pouf.
Chastenberg commence à deviser avec un seul œil comme dans les foires foraines quand on casse des pipes de bois qui tournent, à l’aide d’un fusil à bouchons.
Soudain nouveaux coups à la porte.
Chastenberg ouvre la porte avec un ouvre-boîtes : Patricia Chougnard est là.
Elle porte sur la tête une chaise Louis XVI et dans les bras une armoire Joséphine de Beauharnais. Encombrant. A part cela, elle est nue comme un ver. Chastenberg la remercie d’être venue ainsi nue nuitamment.
L’escalier est très excité, il dévale quelques marches. et lance une sorte de borborygme andalou. La porte se met du collyre et sort de ses gonds. L’escalier se tient à la rampe. Chastenberg se verse deux doigts de pieds d’eau chaude dans un entonnoir placé entre son coude et le bord du vase à fleurs.

Soudain, nouveaux coups à la porte.
Celle-ci vocifère sèchement, déclenche un mouvement de grève pour mauvais traitement et se retire dans sa chambre.

Chastenberg se précipite devant l’ouverture béante de son appartement, qui saigne abondamment et se trouve nez à nez devant la cage de l’escalier qui s’impatiente un peu. L’escalier réapparaît brusquement entre dans la cage puis se perchant sur un trapèze se met à se balancer furieusement comme par mépris. Il remercie Chastenberg et surtout Chougnard.
La cage d’escalier s’en va.

Chastenberg place devant l’ouverture béante un pot de terre et un pot de fer.
Il met une paire de tongs noires, très chic !
Chougnard lui lance un regard profond qui en dit large sur ses projets immédiats... Chastenberg rougeoie. Ils se précipitent l’un vers l’autre.
Ils commencent un ballet style l’oiseau de feu, sans feu mais passionné.

Les heures passent devant la fenêtre qui se tricote un gilet pour l’hiver.
La nuit tombe, se ramasse et commence à se plaindre comme à l’habitude ! Son chant suinte un long cortège de soupirs et de mélancoliques rêves de parfums.

Un pot de crème fouettée nucléone au loin une vieille mélopée, apprise un soir d’inconscience, racontant l’histoire et les amours plastiques d’une fée et d’un soldat fou.

Cela est très beau et mériterait d’être raconté.







Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!