Histoires de Chastenberg

XX

Il est minuit, v’la Chastenberg


Minuit.

Le calme assombrit quelque peu ma chambre. Au loin, le cri envoûtant d’un cormoran fait écho aux mouches des réverbères. Depuis hier matin, tantôt il bruine, tantôt il vente. Le temps est incertain. Le réveil chuinte doucement. Tic tac... tic tac... J’ai un peu sommeil mais je lutte pour ne pas céder. J’enfile mon pyjama rouge bariolé de bleu et me dirige vers mon lit.

Soudain...
Trois points sur la ligne après : soudain. On pense tout de suite à un rebondissement ... à une chute... à un événement imprévisible..

- Bizarre ...

A nouveau trois points sur la ligne, plus secs maintenant.

- Qui est-ce ? hurle-je

- C’est lui !

- Qui LUI ? crie-je

- C’est moi, ouvres donc !

Exclamation à chaque ligne... j’interroge : ?
Réponse immédiate : ! !

- Toi, ici ! Vieux bouc ! Échinoderme mou ! Ballast des neiges ! Iguane des ravins!

J’ouvre le lourd battant et fait glisser le pont levis Strauss.

Chastenberg est là devant moi

- Je peux entrer me dit-il
J’y dis : Oui vas-y mon gars

Il comprend : Oui, Jazy et s’étonne.

- Allez, entre ... on ne va pas en faire 3 pages ! Ventrebleu !

Il s’immisce dans la pièce en claquant des doigts et en faisant une imitation ( fort bien réussie ) de Fred Astaire dans “Moonlight Serenade”.
Derechef, il percute au passage une pincée de sel qui était blottie à l’extrémité de mon sourire.

- ‘Te dérange pas au moins ?

- Non, t’es toujours le bienvenu, vieille branche édentée !

L’air goguenard, il se saisit du lustre l’utilisant telle une liane. Il lianulule un cri strident, un peu comme les sirènes du Cuirassé Potenkine le jour où les cloches révolutionnaires de la liberté, mère patrie du petit peuple, volèrent à tout rompre et que l’horizon s’empourpra comme le feu de la Saint Jean à San Sébastien,mais... revenons à notre histoire, lorsque je dis, m’adressant à mon visiteur :
- Ne fais pas trop de bruit, tu sais ( sait-il ? ), j’ai des voisins tatillons et sournois, miasme puérile et boutonneux !

Je désigne du pouce le sol.

- Tatillons ? mais qu’est-ce que cela veut dire ? me demande -t-il ex abrupto
Je me sens désappointé par la question : qu’est-ce que ça veut dire ?

- Je savais... j’ai su... mais j’ai oublié, lui répondis-je, gêné

- Temps pire ... transpire Bergtenchas ( il se dissimule maintenant ce chien à foie jaune ! )

Il prend avec adresse une balle de tennis ( une dunlop terrain dur ) et la mange avec rage. Ayant dégluti à moult reprises, il m’avoue :
- Excuse-moi, mais je n’ai rien becté ce soir

- Je vais te préparer quelque chose, espèce de ragondin fibromateux !

Il approuve du pied puis se dirige, à pas comptés, peut-être une dizaine ( j’avoue qu’il fallait compter vite ... j’en ai sans doute raté ) vers la cuisine ( le frigo ).

Il ouvre et retire :
une tranche de molleton de charme
un manche de crampon cru
une bourriche de truites de Moléron

- Tu n’aurais pas du vin noir ?
- Si, tas de fioles puantes !

Prenant son courage à deux mains, il tranche une coupe de pin, met 2 morceaux de viande salée et se colle une escalope sur le blaireux.

- Tu ne désires rien d’autre ? Espèce d’ectoplasme amidonné

- Oui, aurais-tu une pianiste évanescente ?

Je lui donne un cachet d’aspirine dans du porto, cela fera l’affaire.

- On met un disque ?
- Oui, mais doucement à cause des ... ( je montre du pied le sol )

- A cause des tapis ?

- Non, à cause des en-bas, mon bon grassouillet oléagineux

Pause.

Je cherche fiévreusement dans ma poubelle à disques, un vinyl qui rocke et chante bien.
- As-tu “ Marinella” de Vincent Scotto par l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam sous la direction de Bruno Walter

- C’est rare !

- Alors ?

- Oui je l’ai !

- Peux-tu le mettre ?

- Où ?

- Sur mes genoux !

- OK !

Il s’asseoit alors dans le fauteuil marron à rayures fines, prends ma guitare et se met à improviser un lied sur un texte de Jean-Saul Partre.
C’est beau.

- Belle guitare, me dit-il
- Ah ....
- Tu me la files ?
- Impossible, je n’ai pas le matériel !

Il est vexé.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Une chose au Cognac, l’alcool qui cogne me dit-il en donnant un shoot puissant dans une chaussette qui gisait à terre dans la plus grande indifférence ( triste sort que l’agonie des chaussettes )

- Beau tir, n’est-il pas ?

- Fichtre, l’bougr’ de tir répondis-je inspiré

Il se lève et m’apostrophe :
- Et si ... on faisait des buts... là ( il désigne la fenêtre ) entre là ( il désigne le bureau ) et ..... là ( la porte ).... je fais goal... on tourne après deux buts ...

- Alors ?

L’idée me séduit. Le foot-chaussette est une valeur sûre !

Nous commençons la partie. Chastenberg se montre tout de suite très adroit dans le maniement de la chaussette.

A dix minutes de la fin du temps réglementaire, il se saisit de la chaussette dans sa surface de réparation, dribble avec aisance la chaise, prolonge l’action le long de la plinthe, prend de vitesse le radiateur à gaz, avec souplesse évite le tackkle glissé du magnéto et se présente seul face à moi ... je tente une feinte pour le déstabiliser ... puis entame une glissade moulée ... manquant de précision, je loupe la chaussette, dans mon élan, je roule sous le sommier laissant entièrement vides les cages... Chastenberg marque un but d’anthologie, qu’il faudrait montrer dans les écoles de foot-chaussette... Ah ! Quel exploit, fabuleux... le but du siècle ... un des grands moments du millénaire ! Le doigt de Dieu !

Chastenberg les bras levés, jette un regard qui en dit long au magnéto ... puis face à la fenêtre, lance des baisers au public ravi ...

Il regarde alors sa béchamelle de poche et me dit qu’il fallait qu’il parte... mais il reviendrait à coup sûr quand repasseraient les cigognes.

Il prit la poudre d’estafette et se volatisa.







Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!