Histoires de Chastenberg

XVII

Les courses de Chastenberg


Il fait froid.

Notre ami se moule dans un par-dessous couleur bisque et sort.

A l’extérieur des hystériques en maillot de bain se contemplent le nombril.

- Tiens, il pleut ! pense Chastenberg le doigt en l’air de rien.

La nuit est tombée. La foule indifférente, la laisse agonir, à terre dans une mer de sang. La foule continue sa lente procession au flambeau, certains chantent des cantiques, d’autres s’essayent au rap, un vieil homme glousse “Mon beau sapin”, un gendarme et son sifflet hululent une valse de Strauss ( son interprétation ne permet pas d’identifier avec précision le thème, peut-être s’agit-il de “La rose pourpre de Vienne” ? allez savoir ! ).
Un cierge à la main, un grand dadet, l’œil rivé sur la montre du ciel, mâche de la gomme. Il me rappelle Jean Sébastien Bach enfant, en plus risible.

Chastenberg, les mains calfeutrées par du sparadrap bleu marine se dirige vers l’épicerie. C’est un beau magasin à l’ancienne, tout en bois verni. On peut admirer sa devanture mauve et son enseigne en forme de boudin blanc.
Franchissant le pas de la porte avec aisance, quelques clients l ‘applaudissent. Lui, très heureux, cherche des yeux un drapeau tricolore, histoire d’effectuer un tour de piste les larmes aux yeux . Une femme corpulente lui demande un autographe et un aéroplane pour son chat. Il accepte avec joie. Quel triomphe !
Le calme revenu, l’épicière - une brune au regard qui en dit long sur la longueur des andouillettes - le toise avec attention, en insistant avec force sur son nez aquilin, est-elle hypocondriaque ?

- Vous voulez ? lui postillonne-t-elle au visage ( Relent d’ail comme dans la cervelle de canut mais en plus fort )
Un être bedonnant marmonne dans le fond de l’officine qu’il est temps de refaire le stock de chaussons aux poivrons et que le prix du carburant est trop élevé !
Soudain, un grand brouhaha de verres qu’on déchire avec force... peut-être quelqu’un lit-il les hauts du hurlevent tout en sirotant de l’hydromel ? Peut-être est-ce mon imagination ? Allez savoir ...


- Je désire un paquet d’allumettes et du sirop de pampres sécables de Toscane

La serveuse s’empresse de lui remettre les objets sollicités et s’en presse quelque unes.

Notre client débonnaire remarque ( observateur ou ethnologue ? ) la courbe de son menton.

- Ah ? La quadrature du cercle ! pense-t-il philosophe.

- Ce sera tout ?

- Oui, peut-être ... répond-il sournoisement , en laissant filer inconsciemment son regard sur le décolleté lascif de la vendeuse.
Elle le remarque et ajoute :

- Quelques articles en promotion, jeune homme ?

- Non, ce sera tout !

Chastenberg sort à regret de la boutique, en larmes, très ému de cette atmosphère nostalgique. Quel drame ! Son lacet droit est défait.

- Tant pis s’écrie-t-il exaspéré par tant d’ennuis.

Les clients du bar dans lequel il est entré maintenant, l’examinent un verre de bière à l’oreille. On dirait un tableau de Brügel l’ancien en plus contemporain., peut-être plus kitsch aussi.
Lui, s’adresse au barman qui semble aveugle ( il porte un verre blanc posé en équilibre sur la tête et note les consommations sur un petit carnet avec une martelette braille ).

- Un kilo de pêches bien tendres ( pas trop cuites ) et un figatelli d’un mètre vingt très précis, c’est pour une recette, s’il vous plaît
- Pourquoi dois-je le prendre à mon goût ?
- Parce que tu es issu d’une famille de Calvi ! Mon bon !
- De quelle marque ta charcuterie insulaire ? Gari !
- San Antonio ! Parbleu !
- Diantre, je m’en doutai ... toujours pareil avec les touristes ... pas de honte ces gens-là ( les pochards sifflent, dansent un menuet et étirent un sourire éthylique tout en gobant des cacahuètes grillées et salées ). C’est vrai que ça fait fête ces atmosphères -là !

- Voilà ! hurle l’infirme en tendant à l’aveuglette le précieux boyau farci.

Chastenberg range son achat dans le filet à provisions et s’enfuit.

Il rencontre Josiane.

- Bonjour, poisine de valier !
- Hello Chasten ! Elle lui raconte à bouche décousue sa soirée d’hier, le film, la plage, les galets, l’odeur de grillades, les bruits de la salle des mariages, l’encens parfumé, les couleurs diaphanes de la moquette et les fleurs en quantité sur le sol.

Il est étonné par cette attitude gamine.
Il se dirige vers la maroquerie.

- JE VOUDRAI DU COUSCOUS DE LA-BAS ! hurle-t-il agacé
- C’est pour combien de personnes ?
- Non pour une ribambelle de navets et de carottes !
- 3 kg fera l’affaire alors ?
- Topez-là, ami
- Là ?
- Oui, là !
- Merci mais j’ai déjà mangé !

Chastenberg empoche un pourboire puis emmitoufle le bidule agatisé dans sa poche. Le filet s’alourdit dangereusement.

Au dehors, l’air est chargé de senteurs citadines : propane, béton, poubelles, échappements divers, insecticides, chastenbergticides ?










Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!