Histoires de Chastenberg

XII

Le riz va jeu.


Un sourire écumant de rage éclabousse son paysage, une épée dans les yeux, il regarde les étoiles qui dansent. Le ciel est immense. Le sommeil ne vient pas et il se fait tard.

C’est beau. Les étoiles... autant de rêves infinis, visibles, à deux pas de nous , une porte ouverte sur le rêve et l’imaginaire.

Un parfum âcre s’enroule le long de son corps tel un serpent aux formes lovées. Sifflement continu. Depuis longtemps une image le hante : un rivage désolé et froid, des dunes blanches, de l’herbe rouge entrelacée et de coquillages de tresses longues, ... longues comme des lianes...

Près d’un rocher aux formes nettes, presque trop tranchantes, un corps est allongé sur le sable, dévorant un livre dont les pages sont toutes recouvertes de petits nuages gris et floconneux. Peut-être des lettres d’un autre temps !

Des algues mortes sont figées sur ses doigts.

Translucides et verdâtres comme de la gelée anglaise.


Au-dessus du personnage : un camembert flotte dans les airs ( Chastenbert ?), ses deux petites ailes duveteuses ( oreiller ? ) éparpillent dans l’air des tas de plumes de couleur blanche. Le volétement créé une impression de lenteur. Le défilement continue des minutes est presque arrêté.

Notre aventurier pense à l’étrangeté de la situation : une si belle fille et un fromage à pâte tendre !
Au loin, des troupeaux de noisettes laineuses paissent en gémissant, avec élégance et désinvolture. A droite, un dromadaire amphibie et ambidextre récite les droits de l’homme et du mitoyen. La fille, immobile, chante à voix basse.... des paroles qui semblent se perdre dans le sable dans une cette langue inconnue et élégante.
Lui, un bouquet de roses des sables à la main brandit un sourire à flots tendus. Aurait-il compris le mystère ? L’insondable mystère de la situation.

A ce jeu, il prend le parti d’observer la silhouette, elle se détache sur fond de mer, il est ému. Il imagine, par hasard, une vague de coton hydrophobe mouillé. Il a une ENORME envie de s’approcher. Il hésite un moment, puis se dirige vers le livre. Par diversion. L’allongée sourit. Le debout aussi. Il remarque que le camembert volant plane au-dessus d”elle. Il paraît même quelquefois se rapprocher. Hésitant, il se décide à parler :

- Tiens un oiseau s’écrie-t-il

L’oiseau à cœur, effrayé par tant d’audace, s’en va, non sans avoir piaillé quelques grossièretés volatiles.

- Vous habitez ici ? demande-t-il à l’inconnue chantante.

- Oui répond-elle en se mouchant abondamment, à s’en faire péter les mâchoires.


Ce manque de pudeur la dessert beaucoup, pense-t-il.

Chastenberg remarque le petit sac en plastique qui lui sert de mouchoir et pour donner le change se met à exécuter un vol plané, puis carpé, devant les yeux interrogateurs de la mouchée.

Un vent frais souffle avec timidité.

Il aromatise à grandes bouffées de l’air ouaté.

- Comment t’appelles-tu ? questionne-t-il, ébahi par le regard prune de la mignonne.

- Rose, entonne-t-elle avec un trémolo dans la voix.

- Tu vis seule ici ?

- Je sais, on me le dit de temps à autre

- Ah oui ? De temps... à autre...

- Oui !

- Et alors ?

- Alors, rien ! J’écoute... Ca me fait passer le temps ! C’est si long le temps ... L’ennui du temps qui passe, vous en savez peut-être quelque chose ?

- ...


Les noisettes laineuses s’éloignent. à grands claquements de gifles molles.
Au loin, le son d’ un cor de chasse ...


Un jambon de Bayonne trace dans le ciel un arc-en-poivre fait de laitance et de cochonnaille labelisée. Un spasme de brisures de noix passe. Il y a des instants comme ça où seule l’observation l’ emporte ! Les mots sont rejetés et importent peu.

- L’été est bien fini ! déclare-t-il, déductif.

Elle lui prend la main, la manipule comme un objet rare et la place dans sa bouche. Ses yeux sont de braise.

A coups de dents rapides, elle lui entaille la main. Lui ne bouge pas pour ne pas interrompre le rite. Pour ne pas gêner l’initiation.

Quelques gouttes de sang perlent à la commissures de ses lèvres . Le soleil se lève du pied gauche en rougeoyant de colère. Tant pis !

Le paysage s’illumine et les étoiles se dissipent pour éveiller définitivement la lumière vivante, celle qui se voit avec le cœur.






Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!