Histoires de Chastenberg

XI

Le grand retour de Chastenberg
ou
Ce soir, Chastenberg sort avec des amis.



7h00 : coup de téléphone.

Une amie lui demande de venir chez elle pendre la tige de fer munie de crans qui permet de suspendre à différentes hauteurs dans une cheminée. - la crémaillère-

Il n’est pas très enthousiaste, néanmoins il accepte.

En fait, il ne peut jamais se dérober ( ni s’enrober non plus soit dit en pensant )

Comment va-t-il s’habiller ? C’est important la façon de se vêtir, c’est essentiel !

Il réfléchit, puis se décide pour la couleur noire, couleur de circonstance dans une pendaison. ( Y a-t-il eu un procès ? )

17h45 : il ne se souvient pas très bien de l’adresse de son amie. Qu’importe ! De toute façon, il connaît le nom du quartier et le prénom du père ! Il enfile son duffle-coat écrevisse, met son bonnet concombre, ajuste son nœud papillon fraise et quitte l’appartement en renversant l’alarme... il n’aime pas les départs !
Il descend quatre à quatre l’escalier de marbre.

Soudain....Il manque une marche. Mince ! Le voilà obligé de tout recommencer par rigueur mathématique.
Un vent frais lui fouette les yeux. Il est dehors. Il pleut ? Non, c’est du brouillard mouillu !

Il place ses lorgnons sur son pif, fait un pied de naze et affine son apparence en salivant devant le rétroviseur ( hausse à 40 ). Sa patinette à essence l’attend. Il la remercie, l’enjambe avec prudence puis actionne le démarreur. La ficelle résiste puis se tend fermement.... Un doux bruissement se fait entendre, il écoute un bref instant. Pas mal ce roulement de bielles ! Quel plaisir ! Vingt dixièmes d’heure plus tard, il arrive devant l’immeuble victorien. Immense bâtisse grise de trois étages.

- C’est beau, pense-t-il sournoisement.... On dirait... ( il cherche )...... on dirait... un mets de pâte légère, fluide ( blancs en neige ) et qui monte à la cuisson - soufflé - au fromage italien qui rappelle le roquefort - gorgonzola - ( un frère à Emile ? )

Il presse un racloir poussif qui sert de butoir à pognes.

Une porte s’ouvre. Sans bruit... comme dans Star Trek™.... abruptement, une odeur de lait bouilli l’indispose. Il pense à Richard Anthony... pourquoi ?... Il ne sait pas.. A cause de la chanson “ Et j’entends souffler le crin “... peut-être pas, le crin n’est pas laiteux! Enfin, il y pense ( et c’est cela qui nous intéresse ! )
A quel étage doit-il se rendre ?

Il regarde avec promptitude et efficacité les noms sur les récipients de matière rigide à lettres.
- Durand.... 1er étage.... ( il a connu un Durand lorsqu’il a fait son séminaire... Durand Charles... ou Henri... ou ... Bof )... Chougnard.... Rez-de-chaussée... Anne ... 2ème étage...

- C’est parti, m’sieur, fait l’ascenseur

- Merci, p’tit gars !

Il sort de l’engin et sonne à la porte. Il entend une grotesque imitation des 4 premières mesures du Sancta Mater ora pro nobis de Monteverdi.

- Bonjour, ma puce ( bise sur la joue droite ), ça fait plaisir de te voir, ça va ?

Chastenberg est toujours embarrassé lorsqu’on lui pose cette énigmatique question de principe.

- Ca va ?

- Et non ! Ca ne va pas comme on voudrait ! Toujours quelque chose qui ne tourne pas rond ... peut-être la planète... qui sait ? ... MAIS.. comment expliquer ça en quelques mots d’introduction à une rencontre ... COMMENT ?

- ....

- Ca va ... et toi ?

Alors là, c’est astucieux... voilà t’y pas qu’il lui retourne l’inquiétante question ! Il aime bien cette attitude provocatrice. Arthur Rimbaud n’a qu’à se tenir !

- Tu as eu du mal à trouver ?

Question-réponse à laquelle, conventionnellement, il répond :
- Je me suis trompé plusieurs fois de chemins ... mais ENFIN ( ouf ! )... j’ai trouvé ( Sans avoir inventé l’eau tiède on le pressentait ! ).... j’ai trouvé... difficilement ... certes mais j’ai trouvé ( Il se prend pour Archimède ou quoi ? )

Anne présente le nouvel arrivé à quelques amis présents ( heureusement qu’elle n’énumère pas les amis morts ... avec un sanglot d’émotion dans ... ( dans quoi ? )......... la voix ( trouvé aussi ! ).
D’entrée... il se sent mal à l’aise. Pourquoi ? ( Oui pourquoi ? )... parce qu’il est LUI et que les autres sont extérieurs à LUI ! ( Ah bon, je vois... je vois... je vais de ce pas feuilleter l’œuvre de Sigmund... histoire d’être documenté ! )
Au bout de quelques instants, qui lui paraissent très lourds, un personnage à l’allure trouble s’approche lentement et lui susurre, se servant du revers de la main comme d’un hygiaphone...

- Tu en veux une ?

- ... ? Pardon ? interroge sauvagement Chastenberg, un swing dans le trémolo de la voix. ( Etonnement )

- Tu en veux une... oui ou non ? ( ces deux derniers mots très détachés )

Le type mal rasé tend un paquet de chips au cumin, noirâtres et tortueuses.
Chastenberg refuse net, presque cassant :

- Je fume peu... merci.

L’autre entonne en plissant les yeux comme pour mieux voir :

- Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

- Je vends du couscous surgelé pour des bistrots du centre ville de Tarbes, des carburateurs d’occase pour camions américains, des arrosoirs percés pour spectacles de rue, des andouillettes importées du Sénégal pour magasins exotiques, du salsifis en branche le samedi matin sur un emplacement de marché de Dôle, des fagotins fadasses pour vieilles dames esseulées et du fil à couper le beurre pour des hôpitaux suisses ! répond-il énervé par tant d’indiscrétion. Il fait ce qu’il veut quand il veut où il veut avec qui il veut !

- Sans blague ? éructe-t-il insatisfait

- Parfois mais avec une pipe en ivoire seulement, renseigne-t-il pour faire diversion. Et toi ?

- Je suis aviateur de fête votive.

- Vomitive ?

- ... ! Non, votive !

- Et c’est intéressant, question pèse ?

- OUI... ENORMEMENT BIEN REMUNERE.... hurle-t-il maintenant pour se faire clairement comprendre de l’entourage.

Chastenberg est gêné... il se sent en dehors ....
Tout le monde regarde l’aviateur qui parade en imitant le bruit du zinc lorsqu’il atterrit...
Chastenberg ricane sépulcralement.
Il s’enquiquine ferme. Ouvertement.

Après un repas frugal autour du pot ( chaudron à tremper du pain aillé ), tout le monde se retrouve dans la salle à parler. Lui, n’a qu’une envie : vociférer, crier, gueuler... GUEULER ... et s’en aller à grandes foulées souples... mais il ne doit pas.

- Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? lance quelqu’un par terre dans un grand bruit de saladier brisé

- Et si on allait au ciné ? au bowling ? au dancing ? au stade ? au théâtre ?

Chastenberg se lève et s’en va.






Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!