Chastenberg se
regarde dans un miroir. Finalement, c’est vrai qu’il est laid : ce visage
raviné, ces cheveux sans coupe, ces dents de traviole, ce nez court,
cette bouche pleine et lippue, ce sourire qui en dit long alors qu’il faut
faire court, ce sourire.... radieux et irradiant... Andrianapoulos, sa belle....
Voilà qu’il s’est fait le visage d’Andrianapoulos, sa lointaine !
Il efface avec colère ces traits qui ne lui appartiennent pas...
il gomme... gomme... caoutchoute... détruit.... reprend la description,
il trace le visage d’un clown... là au moins, il saura pourquoi les
gens se marrent quand il passe dans la rue. Il saura pourquoi Andrianapoulos,
son innocente, est partie... comme un refus d’aboutir... d’emboutir une vie
en duo.
Break.
Il est loin maintenant, loin des gens de la rue, loin des écailles
de poissons dans ses cheveux épars... il vole dans les R ... complètement
libre, il ouvre sa fenêtre et plonge....
Sur le coup, c’est agréable, une sensation de légèreté,
d’apesanteur, d’abandon de soi.... de silence... puis.... le fracas.
Quelques bosses sur le haut du crâne.
- Chastenberg, on ne se suicide pas en se jetant d’une fenêtre
du rez-de-chaussée !
- C’est raté, mon pauvre vieux, évidemment tu aurais pu
t’écraser sur le sol dallé, mourir en pleine jeunesse comme
un James Dean ou un Gérard Philippe, alors là .... le triomphe,
le mythe, la légende...
- Vous vous rendez compte, une telle œuvre, à cet âge
!
- Quel visionnaire ... Toujours d’actualité...
- Impensable qu’il n’ait pas été reconnu de son vivant
! Toujours pareil !
- Il n’aurait pas inventé l’électron libre ?
- Sans blague, il est mort ? Il est tellement présent dans nos
esprits !
- Tu aurais pu être là, gisant, les bras écartés,
du sang au coin du sourire.... délivré... pourtant...
- Pas de bol, mon brave Chastenberg.
Ce sera pour une autre fois.