Histoires de Chastenberg

VII

Chastenberg est triste.


Chastenberg est triste. Andrianapoulos, sa brune, vient de la quitter hier soir, sur un coup de tête, par bravade, il en a encore la trace au front.

Il s’est mis à boire de très nombreux verres de Blisfour Gin Tonic “ La boisson aux oranges naturellement reproduites par synthèse !”

Il s’est ensuite dirigé vers la chambre, y est entré et a mis sur la platine de sa chaîne HI-FI Blisfour “la 3ème symphonie de Carl Maria Von Blisfour” plus exactement le 6ème mouvement Adagio ma non troppo ma non mosso non più é pericoloso cantabile sporgersi.

Il s’est ensuite allongé sur le sol moquetté de la chambre à air, puis s’est mis à pleurer à froides larmes, longuement... Aussi longtemps qu’a duré la face du disque ( et c’est long !), la plage du disque comme ILS disent, comme disent les automates, la plage... la plage... sable... Île Minerve... un endroit paradisiaque... une longue plage de sable roux... auréolée de palmiers, de baobabs, de platanes, de noix de coco, de mangues, de navets, de perroquets multicolores, de requins blancs, ocres, de sauterelles couleur terreuse... c’était beau... vraiment très beau.

D’ailleurs tous les vacanciers, les plaisanciers et les sciés, lorsqu’ils descendaient du grand voilier blanc ne disaient-ils pas, s’exclamant d’une même voix ( ce qui posait pas mal de problèmes de synchronisation au Chef de bans, certains étant à contre-choeur, d’autres à contre-voix et la plupart à contre-joute “ Île Minerve... pas mal !”

Ah! La plage... allongés.... allongés côtes à côtes, reins à reins, bras à bras, mains à mains, pieds à pieds... Andrianapoulos, à plat ventre... lui, à plat ventre aussi... le clafoutis des vagues leur servant de musique... les cris des oiseaux migrateurs dans le ciel derrière leur tête, leurs excréments sur le visage... Le grand hôtel dix-sept étoiles au Guide Mi-chemin, hôtel de grand luxe... les fêtes le soir, les bals costumés, les bals parfumés, masqués, nuisettes.

Cette musique... Ce solo de violon en fin du mouvement... ce contrepoint de basson appuyé par une pédale de clarinette basse... Il se souvient du dernier bal costumé, il s’était déguisé en ...fracas de percussions... Andrianapoulos avait pris l’apparence... roulement de timbales, puis pianissimo sur une mélodie au piano... c’était amusant.. ils s’amusaient comme des fours... il se souvient de la musique que faisait un étrange accordéon moustachu... final avec réexposition du thème principal en do majeur.... rond comme une bille, sans touches, sur lequel un petit singe ouistiti à lunettes d’écaille couleur raisin tapait comme un sourd... Carl Maria était-il sourd lui aussi ?....applaudissements.

Chastenberg est revenu à la réalité... le disque fait toc, toc, toc, toc... rayé juste à la fin... il est encore plus triste de s’être souvenu... il a mal à la tête.. il prend un sachet de Blisfour effervescent “contre le mal de tête, contre le mal de dents”.. il tourne le disque ( d’où le nom ! ), il prend en passant la position du lotus.. et le revoilà reparti..(en avait-il envie? ).. Ça commence forte, peut-être mezzo forte... Tokyo, Place Sébastopol... Été... C’était... il lit paisiblement... mélodie legato au tuba... il est assis sur un banc... il y a un petit vent frais qui joue au ballon... un peu plus loin... une voix ( soprano ?)... un chant rageur... une fontaine représente 4 dauphins... près de la fontaine, une homme en képi... staccato maintenant... un pigeon fonce vers Chastenberg... un trio violon-violoncelle et piano sur un thème lent... et lui pique d’un coup de.... timbale.. bec rapide... lentement... l’avant-bras droit et l’après-bras gauche... Ça fait mal !...de longs arpèges à la flûte traversière ondoient autour du violoncelle... Chastenberg s’étonne, un éclair dans le ciel ? Serait-ce un orage ? Le pigeon s’éloigne en zigzaguant...des grelots, tiens c’est drôle il y a des grelots... Chastenberg découvre un petit papier plié en deux mille, un parfum s’en dégage c’est “Prairie Folle” de chez Blisfour “ le parfum qui obsède et qui sent la prune écrasée “... je n’aurai jamais cru, si on me l’avait dit qu’il y a des grelots....le petit papier est au centre de la plaie sanglante... en plus, ça ne sonne pas bien dans ce passage... au beau milieu de son avant-bras droit... de toute façon, ça ne gène pas non plus... il s’en saisit, le déplie en tremblant un peu... tremolo... il y a des mots écrits... c’est un... thème rapide du début... message d’Andrianapoulos, sa féroce lui demandant de la retrouver...le trouvère, non ce n’est pas ce thème là, il y ressemble, c’est sûr mais... elle se serait perdue dans un ruisseau ! Chastenberg s’affole, comment la retrouver ? Il se met à courir... presto ....sous la pluie qui bat le tambour...gong...il trébuche contre un escargot qui faisait du vol à la tire, il s’élance assez brutalement dans une ruelle sombre, va en direction assistée d’un grand immeuble de bois-noix, emprunte l’escalier au propriétaire, ouvre une boîte de petits pois, saisit un miroir par le col de la chemise et lui demande : “ Miroir, mon bon miroir, dis-moi où se trouve Andrianapoulos, ma belle ?”

Le miroir répond :

- C’est facile. Récite trois fois la table de huit jusqu’à 864 puis fais l’intégration par partie de : f(x)=·x2y + Cos x dxdy avec ß=1,ß=2 et ß=¹/3 et tu verras où se trouve Andrianapoulos, ta nénette.

Chastenberg a peur, cela va être dur, vous vous rendez compte, LA TABLE DE HUIT ! Il commence par l’intégration par partie avec résolution alternative.

Deux heures plus tard... changement de tonalité, ré mineur d’après moi... le fruit moite, les mains sèches, le cœur battant... rythme ternaire... un paquet de cigarettes Blisfour “ la cigarette du cow-boy jeune et asthmatique”, entièrement vidé, il arrive à exécuter la table de huit, les yeux bandés en plus... horrible ! passage de trompettes, trop fort, toujours trop fort... Une image se forme dans le miroir... Strette... l’image est claire, il règle le contraste.

C’est bien elle. Il la voit là sur un sol... bémol... il en est très... bécarre... amoureux... dièse... elle l’embrasse sur les yeux, paupières ouvertes, ça le chatouille un peu et ça fait glisser ses lentilles... départ fugué... Chastenberg ouvre les yeux, il ne sait plus très bien s’il dormait ou non... et cette musique dans la tête qui chavire et le presse... en tout cas, ce qu’il sait c’est qu’il pleure... fin de mouvement sur un rubato qui dérange... ce qui est bizarre; c’est qu’il pleure du nez, des lèvres et des oreilles, il baigne dans une mare de larmes

- J’en ai ma claque, se dit-il à voix basse
- J’en ai assez de pleurer tout seul comme un seul-pleureur !

Il entre soudain dans une colère noire, sans faire gaffe. Du coup, il se fait mal. Il se rend compte que sa montre pleure aussi comme si le temps était trop triste

- Agissons promptement avant qu’il ne soit trop tard !

Il prend un gant de boxe, il met un coup de poing américain à l’intérieur et donne un grand coup de poing dans une larme qui ruisselait le long de sa joue.... il se sent... alors.... très bien.

Il y a comme.... un bourdonnement.... d’avion.... à réaction dans son crâne.... il ferme les yeux à la larme qui est morte après une brève agonie...

Les paupières de Chastenberg s’alourdissent ( A-t-il éteint le phono ? ), peut-être retrouvera-t-il un peu de sommeil perdu ?

Il le faudrait.... à tout prix.





Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!