Histoires de Chastenberg  


III

Une soirée chez Chastenberg.


Un voile noir se pose doucement sur la ville, la nuit tombe. Au loin, les coyotes hululent un contrepoint fugué, des ombres surgissent du néant ou d’ailleurs... Elles dévorent, les bougresses, les moindre silhouettes. Affamées comme des loups en chasse.

Chastenberg vient de regagner son domicile, à la sueur de son front. Il baigne dans des ombres familières. Il le fait deux fois par semaine, c’est un minimum d’hygiène à respecter quand on est enseignant.

Il se prépare un repas. Il dévore tour à tour : une salade de cresson rouge, un yaourt au goût suédois ( hareng fumé au lait aigre ), un ananas vert de gris, cuit, deux biscottes Blisfour “ La biscotte qui croustille contre les flatulences “, un avocat de Digne, un melon des Pyrénées, un pied de pissenlit femelle, un artichaut frais, un rose d’œuf cru, une cuisse de lézard frite, et pour finir en hommage à la cuisine française : un morceau ( pas très gras ) de rôti du Père Blisfour, “ Le rôti à la serviette à rayures vertes et jaunes”.

Après avoir mangé, Chastenberg met la télévision. Un programme sur la restructuration des usines Blisfour à Trépignac sur Orges. Le sujet est captivant comme le présentateur l’assène par trois fois, il y a des interviews sous hypnose, des révélations sous amphétamine, et même un lavage de cerveau en direct. Du délire pour une émission grand public.

Soudain, Chastenberg a sommeil. Pourtant, il lui manque quelque chose, il a le désir fou et très violent de jouer aux cartes. Malheureusement, il est seul. Comment peut-on jouer aux cartes, seul ? Une réussite ? C’est pas son genre ! Il réfléchit

- Paf Pif Pof Plaf .............

Coup de téléphone en pleine poire ! Zut, ça fait mal ces sonneries !
Il se précipite vers le téléphone qui lui sert aussi de rasoir
Andrianapoulos, sa petite amie ( elle mesure tout de même 1m65 ! ), est au bout du fil du rasoir. Il joue serré prêt à se badigeonner le visage de savon à barbe. Elle l’invite chez elle. Curieux, il accepte, raccroche la combinette téléphonique en lui assenant un coup de poing par surprise. Il se dépêche de faire un bouquet de brins de toilette pour sa copine et sort.
Au volant de sa luxurieuse berlinette Blisfour 4 cylindres en T, triple carburateur, jantes étroites, couleur maillot du Tour du Rhin, il presse comme un fou le démarreur. Un bruit mélodieux de bielles et de soupapes éclate dans la nuit silencieuse. Quelques pétarades et c’est parti.

La route défile devant et derrière Chastenberg. Sur les côtés la nuit luit. Au dessus de lui, le ciel nuit aux bruits d’ici. Sous la voiture, l’asphalte incandescent. Son cœur bat fort. Il va voir Andrianapoulos, ses cheveux bruns, ses yeux ... Ses yeux si merveilleux qu’il s’y perd souvent. L’autre fois, il a oublié son parapluie dans l’œil droit d’Andrianapoulos, sa belle. Sa bouche toute droite comme un ver de terre, son nez aquilin, ses jambes... Bref ! Chastenberg n’a qu’une envie ... voir sa charmeuse... il accélère comme un desiderata et écrase le cep. Au passage, il grille un feu noir. Enfin, il arrive sur le port, ne trouvant pas de place de stationnement pour sa voiture, il la jette par la portière dans l’eau croupissante du port, et hop !
Observez-le, le voilà qui court maintenant. Il a vraiment l’impression qu’une tonne de plomb lui enserre le visage, son rythme cardiaque s’emballe, numéro 1789, c’est là... Oui, plus que quelques mètres.. Il monte quatre à trois les marches funèbres du petit escalier tortueux qui mènent à l’appartement d’Andrianapoulos, sa brune .. voilà la porte, la sonnette, le bouton en cuivre, le doigt, la pression

- Chtack chtack chtack boum boum dans un premier temps puis il entend les 2 premières mesures du troisième quatuor de Mahler jouées à l’accordéon.

- Cette sonnette est vraiment d’un goût douteux ! pense-t-il

La porte s’ouvre.
Andrianapoulos
Andrianapoulos est devant lui.
Il se précipite comme on jette un flan aux œufs à terre en le lançant du 7ème étage. Dans ses bras.
Dans son élan, il brise un vase chinois de la période Mandchou, puis renverse un plateau sur lequel reposait un fer à repasser, lequel tombe à terre dans un éclat de lumière, puis fait disjoncter le compteur. Tout est noir. La jeune femme se tait. Lui, dit qu’il ne l’a pas fait express mais dans les temps impartis. Elle, s’affole. Lui, la rassure en cherchant à tâtons le boîtier électrique. Elle, se met à chanter pour se rassurer une longue mélodie de Bruckner, pour faire original en espagnol ancien. La lumière fuse. Chastenberg enserre dans ses bras la jeune femme comme pour lui dire de ne pas s’en faire et lui embrasse le lobe droit de l’oreille. Elle en est surprise. Il se livre alors à des palpations du rosiers de la véranda en agissant avec un mouvement sinusoïdal . Confuse, elle sourit montrant sa porcelaine.

Un voile gris enlumine la ville...
Gâteau aux oranges amères, quelques pigeons roucoulent un madrigal sur les tuiles, les rues s’éveillent, les poubelles se vident peu à peu, l’odeur du pain frais apparaît diaphane. Les rues s’éveillent du bruit des premiers pas...

La nuit se passe.

Chastenberg n’a pas joué aux cartes, il en est quand même un peu déçu.
Mais Andrianapoulos lui a parlé de la castration des oiseaux lyres du corps fou.... et cela l’a captivé.








Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!