Histoires de Chastenberg
II
Chastenberg se réveille et sort.
Les mains moites, les paupières
encore closes, Chastenberg se réveille peu à peu. Il ouvre
un œil, la chambre est toujours là, le lit aussi, l’armoire, la
lampe de chevet. Le deuxième œil fait de même, avec retard,
pas en forme aujourd’hui. Sa dernière conférence sur la nidification
des chauves-souris l’a complètement lessivé. Il est livide.
- Serait-il plus blanc s’il avait utilisé Blisfour anti-redéposition
?
- Et si je vous échangeais un paquet de Blisfour contre
un suppositoire à la crème de jasmin ? Vérifié par le bureau de contrôle !
Son matelas transpire à voix douce.
Va-t-il se lever ?
Un instant ... Il se lève.
Tant mieux. Autrement, il n’aurait pas pu boire son tilleul au
sucre de 8 heures, heure où le libraire lui apporte le journal
du soir et le petit déj’ dans sa boîte à lettres comme
dans toutes celles du quartier.
Pieds nus, Chastenberg se rase. Le geste précis, intact
comme aux meilleurs moments de sa vie, digne.
Tout seul, il s’ennuie à se raser.
Il remarque quelques poils épars sous le nez et sur la gencive.
Il accentue la pression sur le peigne puis dégaine sa brosse à
dents. Il s’encaustique les dents avec du dentifrice Blisfour ( en cadeau
avec un pack de 6 paquets de lessive Blisfour anti- redéposition
). Le produit est vert et possède un goût certain pour le
citron pressé et la levure de bière.
L’homme se dépêche de se vêtir : il enfile une
paire de jeans couleur crotte sèche d’oiseau, des chaussettes à
rayures vertes et rouges ( aimerait-il le vert ), choisit une chemise de
nylon abricot, met un trench-coat beige et noir puis prend son chapeau
mou prune. Regardant sa montre à gousse d’ail, il se décide
à sortir.
Chemin faisant, il fourre 4 caramels durs dans la poche kangourou
de son slip, s’entoure la tête d’un brassard de l’Assistance Publique
et s’en va.
Chastenberg marche dans la rue.
Combien de fois n’a-t-il pas pris cette rue pour une amie ? Une
centaine de fois ? Des milliers de fois ? Il ne veut pas compter. La lumière
du soleil lui fait cligner l’œil droit, irritation cornéenne,
cela l’énerve. Soudain...
Envie folle d’uriner, pourtant trop loin de chez lui, alors ? Tant
pis. Il se dirige vers “Le Bar du Centre”, y entre et demande au garçon
( qui est en réalité une fille mais que par commodité
de langage nous appellerons le garçon ) un blanc cassis et une pissaladière
et illico presto !
Le garçon ( voir plus haut ) se radine et lui envoie la
chose.
Ouf ! C’est bon ! Le plaisir d’uriner n’est pas sans évoquer
les promenades qu’il faisait quand il était enfant, un grand moment
de plaisir intense et recueilli.
Une femme assise en face de lui le regarde faire. Évidemment,
il est gêné, d’autant plus qu’il n’est pas à son
avantage assis en tailleur sur un tabouret de bar !
Il fait très chaud, il dégrafe le col de sa chemise
qui lui pattemouille le dos.
Il termine son verre et s’en va prestement.
Chastenberg a soudain une envie incroyable : mettre sa tête
à l’intérieur d’une bouche dégoût pour voir
sa dentition.
- Allez ! J’y vais ou quoi ? se dit-il à mi-voix
Il se décide, s’accroupit et place son enveloppe à
encéphale dans le vasistas .
Sur le coup, à franchement parler, cela est assez désagréable
à cause de l’odeur et des papiers gras qui s’agglutinent le long
de ses lèvres. Puis, il voit passer un train de marchandises ( peut-être
du minerai de charbon, en tout cas une substance noire et poussiéreuse
) puis le Concorde, enfin une Mercédés d’année indéterminée,
entièrement blanche avec une belle capote bleue, une autre encore,
rouge celle-là, une myrtille à bandes oranges, et un vélomoteur
parme mobymatic.
La journée de Chastenberg commence vraiment bien, non ?