Histoires de Chastenberg  


I

Le cours d'Auguste Chastenberg


Bien que le ciel soit étrangement à la pluie , il commença son discours en précisant avec chaleur le titre : “ L’éclosion du seul œuf de chauve-souris au mois d’Août.”
Avouons que ce titre était déjà alléchant, surtout pour ceux, nyctalopes comme moi, qui ne connaissaient rien à l’expulsion ovoïde de la descendance du volatile !
Toute la salle était prête à savourer les paroles de l’auguste professeur Chastenberg.
Il commença à parler :
- Honorable assemblée ...
Ma voisine, une plantureuse blonde aux yeux verts se mit à écrire très rapidement ce que Chastenberg disait. Je regardai avec délectation la plume de son stylo qui allait et venait sur la feuille blanche à petits carreaux. Devant moi, il y avait Duval, un mec complètement loufdingue qui s’amusait à bricoler un hélicoptère pour enfants à l’aide de petits trombones argentés et de bouts de ficelle à poulet.
Chastenberg, imperturbable à tout cela, était en train de dessiner l’œuf de la chauve-souris, en utilisant une craie noire, ce qui laissait une impression énigmatique dans le propos, n’y voyant rien du tout, au grand mécontentement de ma blonde voisine, qui rechargeait son stylo le plus rapidement possible en éructant quelques monosyllabes qu’elle avait retenues du précédent cours d’espéranto.
Chastenberg continuait ses explications. et nous montrait grâce à un rétroprojecteur, un nid de chauve-souris. Celui-ci était relativement petit, anguleux, fait de feuilles perforées de platanes et de chênes verts à petits carreaux. Duval était perdu dans ses pensées. On ne le retrouvera plus. Tant mieux ! La blonde au stylo rechargé m’interpella alors :
- Heu, vous là
Sur le coup, je ne répondis pas.
- Heu, vous là ! répéta-t-elle avec insistance
- QUOI ! répondis-je, un peu excédé du ton qu’elle venait d’employer
- Vous n’auriez pas quelques feuilles à me passer, je viens de tomber en panne.
Je regardai ma provision, j’en avais deux. Je lui en tendis une et demie. Elle me fit un sourire qui se voulait reconnaissant et qui laissait découvrir un appareil bucco-dentaire chargé d’histoires.
- Merci, me dit-elle
Je remarquai un peu d’encre séchée au bout de son index droit ainsi qu’une
empreinte rougeoyante sur ses ongles vernis.
- Ça va. rétorquai-je, fier de moi.
Le vieux prof riait. Il avait fait une plaisanterie au sujet de l’embryon qui se nourrit comme un enfant boit son lait, chaud le matin quand il a faim. Rétrospectivement, j’avoue que cette blague universitaire ne me fait pas énormément rire, surtout lorsque je bois du lait chaud le matin et que je pense à l’embryon d’une chauve-souris et à son regard globuleux !
Je commençai à prendre quelques notes synthétiques :do puis mi bémol, ré et fa, devais-je utiliser la clé d’Ut 3ème ligne ? Chastenberg semblait électrisé par les propos qu’il tenait. La blonde emprunteuse finissait la première feuille que je venais de lui prêter et commençait à reluquer ma réserve. Ses grands yeux verts électrisés étaient injectés de sang tant elle fixait le bout de la plume de son stylo. Il faisait chaud comme dans le film “ Les aventuriers de l’Arche Perdue” mais sans les effets spéciaux. La climatisation était-elle tombée en panne ? Nul ne le savait, pas même Chastenberg qui sortait de temps à autre un mouchoir à rayures fines pour s’éponger le front ruisselant de transpiration luisante. Ce mouchoir avait du vivre de folles histoires tant il semblait fatigué, exténué , éreinté, presque hors d’usage. Il avait renoncé à tout, à sa couleur, à ses manières, à son origine.
Elle avait les cheveux longs ma voisine ... c’était assez joli de voir ce visage complètement perdu, mystérieux, au sein d’une cascade de cheveux . Champ de blé le jour de la moisson. Mon regard allait et venait sur l’honorable assemblée. Finalement j’étais bien placé, mieux que la dernière fois en tout cas ! Ma blonde débitrice me demanda alors si je pouvais lui passer un buvard. Elle commençait sérieusement à me déboussoler les neurones, mais dans un geste stoïcien, je lui en balançai un comme on lance un freezer, avec le geste du sportif entraîné. Elle me remercia, et me dit que je pouvais si le besoin s’en faisait ressentir, puisque j’étais très sympa, passer ma main entre ses dentelles. J’approuvais du regard, l’œil légèrement humide. Elle déboutonna son duffle-coat et commença alors l’exploration de la vareuse et des agrès de ma voisine.
Au premier contact, ce fut une grande chaleur, mes doigts glissaient sous la cotonnade pressant ici le varech hérissé. là l’astérisque en relief. La peau était duveteuse, légèrement pelucheuse comme celle d’un kouglof en mohair. Subrepticement, elle s’arrêta d’écrire, l’air absente. Elle me dévisagea, les yeux dans le lointain, bien au delà de mon regard. Très vite, presque comme quand on prend à contre-pied un adversaire, avec précision et rigueur, elle plaça sa main droite sur mon gravillon à hauteur de la gibecière. La chaleur se faisait plus dense. C’était presque insupportable, l’oxygène commençait à me manquer. Était-ce cela le seuil anaérobique de l’explorateur d’ambulances ? Des bouffées m’enivraient et installaient un léger cramoisi sur mes ramifications.
Nous nous rapprochâmes. Elle commençait à me caresser l’épiderme, lequel se contractait petit à petit. A mots circonflexes, elle me susurra à l’oreille :
- Faisons l’arraisonnement, j’en ai plein le dos de l’œuf de chauve-souris !”
Elle fit vriller son clip, m’ouvrit le velouté et se saisit de mon pressoir , le distilla dans la longueur, en insistant sur les papilles les plus charnues.
N’en pouvant plus, j’œuvrai lentement, à hauteur de châtaignes , méthodiquement comme un ours bien léché, énergiquement, dans un état second proche de l’extase nirvanesque, en parfaite harmonie avec le ragondin.
Elle eût un cataplasme rapide et puissant. Je m’en rendis compte l’oeil rivé sur le mironton. Nous étions généreux et insolents dans le brushing. Elle poussait de petits cris rapides, rauques, imitant à la fois le jappement des chatons brésiliens et le bruissement hivernal des autruches à col vert. Il se dégageait des épices de cataplasme chaud et persillés, attentifs que nous étions à la moiteur de la moleskine. Le tout se mêlait aux humeurs ambiantes de chauffe-eau. Elle chantonnait maintenant des borborygmes qui s’alanguissaient comme pour mourir un peu.. Un bruit énorme, strident... Je revins à la réalité, une voix criait, forte, gutturale, paralysante, chargée d’émotions... C’était Chastenberg :
- Qu’est-ce que vous faites, tous les deux ?
- L’apprêt, m’sieur
- Faire l’apprêt est une chose, perturber le cours en est une autre ! A l’exemple de la chauve-souris qui mastique en silence ( il fit de grands gestes, s’épongea le front, devint grave ) évitez le tumulte, le vacarme, le chahut, ( il cherchait un mot ultime )... le fracas lors de ces rapprochements extatiques.... c’est exaspérant... vous voyez bien que vos camarades sont gênés par le bruit ! Alors, bon sang de bonsoir ... la dignité est à ce prix ! L’honneur des rythmes biologiques ( il regarda sa montre ) se fait dans le calme et le ravissement du prochain ! Amen.
Il continua son cours, enchaînant avec grâce sur la longueur de la palette membraneuse du mâle chiroptère et sur les vertus aphrodisiaques de la glaise mélangée à de la bave spongieuse d’antilope.



Dernière mise à jour : 12 janvier 2002 Valid HTML 4.0!